Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-12. Conversion d'un sorcier

CHAPITRE XII
Elle a revelation d'un homme engagé dans les sortilèges, & le convertit.

Comme elle prioit Dieu un jour pour un homme qui luy avoit été recommandé; le Pere de Brebeuf luy donna connoissance de l'état miserable de cét homme, & comme il s'alloit engageant tous les jours dans le service du diable & le commerce des Sorciers, entre lesquels il étoit des plus considerables & plus criminels; profanant la sainteté des Sacremens, & jamais ne s'étant confessé ny d'avoir été au Sabat, ny d'avoir receu le caractere des Sorciers de la main du diable, ny des crimes les plus énormes, où les diables engagent ces malheureux esclaves de Satan.

Elle en fit son rapport à son Confesseur, & prit avec luy les mesures qu'ils jugerent necessaires pour la conversion de cét homme. Le recours à la sainte Vierge, à saint Joseph & aux saints Anges fut le premier de tous; y joignant des mortifications continuelles, & elle méme s'abandonnant à Dieu par le conseil du Pere de Brebeuf, à tout ce qu'il plairoit à sa divine Justice pour cette conversion, que ce grand serviteur de Dieu luy témoigna avoir à coeur. Aussi c'étoit à luy qu'elle s'adressoit immediatement. C'est une merveille que le nombre de graces, que par son entremise elle a obtenuës de la divine bonté pour cét effet. Plus de cinquante fois le Pere luy revela le détail & les circonstances des pechez de ce malheureux; afin de l'obliger à avoüer, sinon lors qu'il fut convaincu, que le Cieul avoit les yeux ouverts sur luy, que rien n'étoit inconnu à Dieu, & que Dieu le reveloit à cette bonne Religieuse; qui puor le convaincre luy cottoit les, le temps & les complices, & le nombre de fois que les pechez s'étoient commis, & toutes les circonstances. D'abord le Pere de Brebeuf ne luy avoit revelé les choses que fort en general; mais le pecher ne voulant pas se rendre ny confesser la vérité, à moins qu'on ne luy declarât les choses en particulier, elle se tournoit interieurement vers le bienheurex Pere, & élevant son coeur à luy, luy demandoit pourquoy il n'en faisoit pas connoître davantage pour le bien de cette ame. Le pere répondoit en soûpirant : « Helas! on luy en dit assez ? Il faudroit de sa part qu'il fist quelque chose pour témoingner à Dieu un peu de bonne volonté. » Et là dessus le Pere faisoit voir en esprit tout le reste à celle qui l'en prioit. Et enfin le pauvre pecheur rentra en soy-méme, & fit de tres-bonnes confessions. Mais la conversion avec les démons est une peste & une contagion dangereuse & maligne, qui se regagne plusieurs fois; & la volonté d'une creature qui une fois s'est engagée dans leur service, perd petit à petit tellement sa liberté, qu'elle ne peut quasi se retirer de ce malheureux esclavage. Il suffit de dire que ce pauvre pecheur retomboit incontinent dans le méme malheur apres s'en étre retiré, cachant toûjours ses nouveaux crimes avec une opiniâtreté inconcevable: mais toûjours le Pere de Brebeuf reveloit toutes ces recidieves, & les nouveaux engagemens dans ce genre de peché. En sorte que plus de douze fois ce malheureux Sorcier s'étant fait marquer par le diable à chaque fois qu'il s'engageoit dans son service apres s'en étre retiré, autant de fois le Pere en donnoit avis à nôtre bonne Religieuse, luy disant la partie du corps où étoit la nouvelle marque; dont le Sorcier étoit surpris d'étonnement autant de fois, & se rendoit à la verité; Il fut visité & démarqué par des personnes consacrées à Dieu, & lesdites marques furent reconnuës par les épreuves des épingles & des aiguilles; en sorte qu'on n'en pouvoit douter: le lendemain lors qu'on les vouloit visiter, on n'y trouvoit plus aucune marque, & la chair se trouvoit aussi tendre, délicate & sensible, que tout le reste du corps.

Les diables s'en vangerent souvent sur elle. Voicy une de ses remarques.

Une vois vers la minuit je vis deux horribles monstres qui jettoient du feu par les yeux & par la gueule, & qui me donnerent grande frayeur. Ils me dirent, nous venons à toy: puisque tu nous a ôté un tel; ilest bien raisonnable puisque nous ne pouvons pas luy nuire, que nous nous en prenions à toy; aussi bien tu t'es offerte à payer pour luy. Je pensay à part moy que c'étoit un peu d'eau benîte de Cour qu'ils vouloient me donner, sçachant fort bien s'accommoder à ma superbe & à mon humeur, qui participe trop à leurs qualitez. Neanmoins soit que pour lors j'eusse quelques petite veuë de Dieu, ou bien que par quelques autres motifs, je ne fusse pas d'accord de leurs sentimens, je rebutay bien loin ce qu'ils me disoient; estimant vrayement que j'étois indigne que Dieu accordât rien ny à mes prieres, ny à mes desirs; & que s'il avoit usé de misericorde à l'endroit de ce pauvre homme, ce n'étoit pas à ma consideration; mais plûtôt de quantité de saintes Ames qui s'étoient interressées à sa conversion. Cela ne dura pas longtemps, & ces deux spectres s'en allerent. L'un me vouloit donner quelque coup; mais l'autre dit: laisse-la, elle a déja assez de mal sans luy en faire davantage. Le soir d'apres, j'en vie un d'eux, que me regardant d'un oeil affreux, me dit: « Malheureuse, d'avoir demandé ce que tu as obtenu. Ô que tes demandes te coûteront! & que tes désirs seront payez exactement. Cesse à l'avenir de faire ainsi, & tu trouveras le repos. » Apres cela il disparut. J'étois pour lors devant le saint Sacrement; il me seroit difficile d'exprimer la peine que je ressentis pou rlors, & celle que je me fis de confirmer tout de nouveau ce que je voyois bien devoir faire pour ne pas adherer à ce qui venoit de m'étre dit.

Nous avons rapporté cy-devant comment les diables se vangeoient sur sainte Therese, lorsqu'elle leur avoit ravy quelque pecheur qu'elle avoit gagné à Dieu.

À ce propos je rapporteray icy une chose assez remarquable qui arriva vers ce temps-là. Un tel jour (dit-elle) à huit heures troirs quarts du soir j'eus une impression de la part du Pere de Brebeuf, de prier Nôtre Seigneur qu'il ne permît pas que nôtre Église servît aux démons & Sorciers pour faire leurs abominations: Je fis ma priere assez courte, & me couchay avec cette pensée, que Dieu étant tout puissant, qu'il garderoit bien sa maison, & que je n'avois que faire de me mettre en peine: Comme je roulois ces pensées dans mon esprit, une de nos Soeurs vint m'appeler pour aller fermer les portes de l'Eglise; me disant que j'allasse conjurer le démon qui étoit dans la serrure de la porte: Diverses considerations me faisoient incliner à n'y pas aller, & je resistay tant que je pû; mais le Pere de Brebeuf me commanda d'y aller & de fermer la porte, dantant que les démons avoient resoly d'y tenir le Sabat, & prendre les Hostiens consacrées pour faire des sorts. En effet, la porte exterieure de la Sacristie étoit facile à ouvrir, & la clef du Tabernacle y avoit été oubliée sur la table: étant allée à l'Eglise j'essuyay la cleft afin de ne rien faire paroître, & ayant trouvé qu'un démon s'étoit mis dans un petit trou de la serrure, je soufflay dedans. Le démon me renvoya un soufflet pesant, qui me cingla le visage comme si c'eût été des verges de fer; mon visage s'enfla & demeura de la sorte un jour: si-tôt que j'eus souffĺé il s'en alla, & la clef entra facilement. Trois Religieuses avant que j'y fusse venuë, avoient longtemps sans pouvoir faire entrer la clef, quoy qu'ordinairement elle ouvre & ferme sans peine.

Notez que l'on a sçu la confirmation de ce nouveau dessein par le Sorcier cy-devant converty, qui avoit assisté à l'ensorcellement de la serrure, & qui avoit coûtume d'assister à ces malheureuses assemblées nocturnes; & l'on sçait par le méme, que le Sabat se tint cette nuit-là aupres du moulin; éloigné d'un demy quart de lieuë, où il s'étoit aussi trouvé.