Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-1. Les causes d'un tremblement de terre

CHAPITRE PREMIER
Elle s'offre à Dieu pour être la victime des pechez d'autruy, & Dieu luy fait voir les causes d'un tremblement de terre épouvantable qui arriva en Canada l'an 1663.

ieu a souvent donné à connoître à cette ame vrayement fidele & genereuse, les pechez qui se commettoient, quoy que tres-secrets & cachez, & par des personnes éloignées de sa veuë & de sa presence : Souvent Dieu luy faisoit penetrer dans le fond des consciences l'état de plusieurs; les graces qu'il leur faisoit; les resistances de leur coeur; leur enduricissement volontaire; les operations des démoins & des Anges; la colere de sa Justice divine irritée contre leurs pechez, & les peines dont il punissoit leurs crimes: Souvent il l'invitoit, où il la faisoit solliciter par des Saints du Paradis, à s'offrir d'étre la victime de sa divine Justice, & de porter sur soy les punitions qui étoient préparées pour les autres: & souvent méme elle a été punie sur le champ, principalement lorsque c'étoient des personnes qu'elle cherissoit particulierement, & à qui elle pouvoit avoir quelque speciale obligation; elle s'y offroit de tout son coeur; & elle s'abandonnoit à la Justice divine, comme une victime publique pour les pechez d'autruy: L'Experience a fait connoître par l'observation qu'en ont fait ses Peres spirituels, que toutes ces impressions étoient véritables.

Le 5. jour de Février 1663. entre les cinq ou six heures du soir, il arriva un tremblement de terre dans le Canada, en deux cents lieues de longueur sur cent lieues de largeur; qui fut si prodigieux que des Montagnes entieres abîmerent, des Lacs et des Rivieres disparurent & d'autres changèrent de lit. Dans les forests il sembla qu'il y eut combat entre les arbres qui se heurtoient ensemble; & non seulement leurs branches, mais méme on eût dit que les troncs se détachoient de leurs places, pour sauter les uns sur les autres, avec un fracas et un bouleversement étrange : On voyoit dix ou douze arpens de forest sauter en l'air, & retomber comme dans un abîme si profond, que les arbres paroissoient enfoncés bien avant dans la terre, jusqu'à la cime. En d'autres lieux les arbres regombaient renversez, les branches en bas, qui alloient prendre la place des racines: De sorte qu'il n'y paroissoit plus qu'une foreest de troncs. Dans les Villes de Quebec, des trois Rivieres, & du Montreal, on voyoit les murailles balancer & toutes les pierres se remuer, comme si elles se fussent détachées les unes des autres; les toits sembloient se courber en bas d'un côté, puis se renverser de l'autre; les cloches sonnoient d'elles-mémes; les poutres, les soliveaux, & les planchers s'ouvroient; la terre s'ébranloit horriblement, & agitoit les pieux des palissades, d'une façon qui seroit incroyable, si on ne l'avoit veu en divers endroits; les cheminées & le haut logis pioient comme des branches d'arbres agitées de vents; & par tout on croyoit que la terre s'alloit entr'ouvrir, & que tout alloit s'abîmer.

Ce tremblement de terre dans sa premiere secousse, qui fut la plus violente, ne dura qu'environ une demi-heure; & du depuis eût queqlues autres reprises: mais toutes ces agitations durerent environ quatre, cinq & six mois, ayans été encore sensibles en quelques lieux dans le mois d'Août.

Or nôtre Catherine de saint Augustin en ayant eu le pressentiment avant qu'il fût arrivé, le déclara à qui elle étoit obligée de le faire. Voicy ce qu'elle en a écrit dans son journal.

Le 5. Février ayant offert mes devotions pour les Ames qui sont en peché mortel, je piray les premiers Martyrs du Japon de la Compagnie de JESUS, dont on faisoit la Fête; d'en faire eux-mémes l'application, selon qui seroit plus à la gloire de Dieu. J'eus pour lors un présentiment assez considérable, & comme une asseurance infaillible, que Dieu étoit prêt de punir le païs, pour les pechez qui s'y commettoient, sur-tout pour le mépris qu'on faisoit de l'Eglise. Il me sembla pour lors que Dieu étoit beaucoup irrité. Je ne pûs m'empécher de souhaiter ce châtiment quel qu'il fût; car je n'eus pour lors aucune idée de ce que ce pourroit étre. Le soir au méme instant qu'un tremblement de terre commença, je vis en esprit quatre démons, qui occupoient les quatre côtez des terres voisines, & les secoüoient fortement, comme voulant tout renverser; & sans dout ils l'auroient fait, si une puissance superieure, qui donnoit comme le branle à tout, n'eût mis obstacle à leur volonté. Ensuite les démons me dirent qu'ils feroient leur possible pour continuer ce renversement, qu'il y avoit bien du monde effrayé, & que la peur les faisoit recourir à Dieu, & penser à leur conscience; mais qu'ils feroient bien en sorte que cela ne leur serviroit de guere.

Deux ou trois jours apres, étant devant le saint Sacrement, je me sentis intiereurement invitée d'écouter & de voir ? Je fus un peu troublée d'abord; la voix & la presence de celuy qui me parla, quoy que ce fût d0une façon non visible, m'imprima une grande terreur, à raison de Sa Majesté. Neanmoins mon esprit se calma, & quoy que je fusse dans une crainte respectueuse, mon coeur possedoit une paix profonde. Il me sembla que saint Michel étoit celuy qui me parloit: Voicy d'abord ce qu'il me fit entendre. Loquimini ad cor Ierusalem, & ad vocate eam, quoniam completa est malitia ejus dimissa est iniquitas illius. Il portoit en sa main trois fléches, & à la main droite une balance : sur les fléches étoit écrit, Quis ut Deus ? Et la méme devise sembloit lui composer une espece d'habillement, les fléches étoient prétes d'étre décochées; un des bassins de la balance étoit remply, & comme comblé des paroles précendentes du Prophete Isaye. L'autre étoit presque vuide, & on ne voyoit dedans qu'une legere vapeur. On me fit entendre que ces fléches étoient trois sortes de punitions pour toirs sortes de pechez, qui sont ordinaires en ce païs; l'impieté, l'impureté, & le peu de charité, sur-tout dans les détractions, & les désunions. Ie priay l'Ange d'avoir encore un peu de patience, & ne pas lancer si-tôt ses fléches. Il me dit : Deus non irridetur. Ie luy dis, Dieu s'oubliera-t'il de ses grandes misericordes? Qu'il me punisse, moy qui ay attiré sa colere sur ce pauvre païs; qu'il pardonne aux autres. On ne me fit autre réponse, sinon que je leusse bien l'écriture qui étoit dans la balance. Ie restay étrangement touchée que Dieu étoit si irrité; & mon coeur étoit dans un grand desir de pouvoir l'appaiser. Je n'ay jamais si bien conçu ce que c'est que le peché, que pour lors. Qu'il y a peu de foy, & que l'on ne comprend guere ce que c'est que Dieu!

Depuis ce tremblement de terre je suis toutes les nuits comme percluse, & dans l'impuissance de me pouvoir remuer le moins du monde. Cela a duré plus de quinze jours.