Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-12. Attachement aux vertus solides

CHAPITRE XII
Elle s'attache uniquement aux vertus solides



Dans la suite de cette Vie il est aisé d'y connoître qu'elle a été dans une pratique continuelle des verus solides, & que c'étoit l'application de son esprit, & la nourriture de son coeur.

Les voyes de Dieu sur elle étoient humiliantes; elle s'y est tellement soûmise jusqu'à la mort, que JESUS-CHRIST luy ayant souvent donné le choix, ou d'en sortir, ou d'y continuer, laissant le tout à sa liberté, & luy faisant connoître qu'elle seroit toûjours toute à luy, quoy qu'elle changeât d'éta, toutefois elle n'a jamais voulu sortir de son humiliation, à cause qu'elle desiroit l'humilité.

La conformité aux volontez de Dieu étoit sublime en elle; tout luy étoit parfaitement indifferent, santé ou maladie, soit la consolation, soit la desolation; l'estme ou le mépris des creatures, les visites favorables des Saints du Paradis, ou bien les sacrez abandons de Dieu; & méme d'étre précipitée dans les enfers pour une éternité, si c'étoit la volonté de Dieu, pourveu que ce fût sans peché, qui étoit l'unique chose qu'elle avoit en horreur.

L'obeïssance neluy étoit pas difficile, s'étant accoûtumée à ne pas regarder l'homme dans l'homme méme, mais JÉSUS-CHRIST auquel elle ne doutoit point qu'elle n'obeît obeÑissant à l'homme. Elle ne s'arrétoit point à examiner si les conduites que l'on tenoit sur elle, étoient & justes & raisonnables; disant que rien ne nous devoit arrêter dans l'obeÑissance, depuis que JESUS-CHRIST avoit obeï à l'Arrêt de Pilate, quoy que le plus injuste du monde; n'y ayant regardé que la volonté de son Pere, de la main duquel il recevoit le Caclice de sa Passino,

La charité pour le prochain étoit née avec elle; se portant de tout son coeur à rendre service à qui que ce fût, méme aux personnes les plus viles, prévenant leurs besoins, & s'estimant étre obligée lors qu'on luy donnoit occasion d'obliger les autres; n'ayant jamais fait mal à personne. Ce qu'elle a souffert pour les Ames du Purgatoire & pour les Pecheurs, méme qui souvent luy étoient inconnus, pour lesquels cependant elle s'étoit si genereusement offerte à Dieu, comme une victime publique portant la peine de leurs pechez dans des excez inconcevables, est une preuve de la charité de son coeur, qui jamais n'a dit c'est assez sur le sujet des souffrances.

Sa patience à tout souffrir des hommes, des démons & de Dieu méme qui se mettoit souuent de la partie cont'elle, en se cachant à elle & luy cachant tous les secours de sa grace; cette patience, dis-je a été formée sur le modele de la patience de JESUS-CHRIST, lorsque'elle se plaignoit saintement à luy; Mon Dieu, mon Dieu! pourquoy m'avez-vous délaissée ?

L'amour qu'elle avoit pour Dieu, n'étoit pas d'ordinaire un amour sensible, ny un amour delicieux; mais un amour souffrant, un amour patient, un amour obeÑissant : Elle appelloit les douceurs sensibles de la devotion, le sucre que Dieu donne pour l'ordinaire à ceux qui sont encore enfans à son service; & elle ajoûtoit que come le sucre ne rendoit pas les viandes ny plus nourrissantes, ny plus saines; mais au contraire que trop de sucre souvent gâtoit l'estomach, de méme aussi que la devotion sensible gâtoit souvent la devotion veritable, & le veritable amour de Dieu, qui selon ce que JESUS-CHRIST nous a enseigné, ne consiste pas à dire souvent Seigneur, Seigneur! mais à faire & à les souffrir quant il nous envoye des souffrances; principalement celles qui sont le moins selon nos désirs, & que nous choirions le moins. Le voeu que la sainte Vierge l'obligera de faire, de chercher en toutes choses la plus grande gloire de Dieu & la fidélité qu'elle a euë dans l'observance de ce voeu, est une remarque & une preuve bien puissante de l'amour qu'elle avoit pour Dieu.

Elle imitoit le grand Apôtre qui châtioit son corps pour l'assujetttir à l'esprit; & souvent c'étoit avec une sainte cruauté, par des disciplines sanglantes, des ceintures hérissées de molettes de fer, qui entroient dans la chair; par des jeûnes que je puis dire continuels. Elle passoit souvent les nuits en oraison, & couchant sur la dure: Souvent les démons luy causoient une soif enragée, & des desirs ardents de plusieurs choses, luy donnans un dégoût de tous les autres; & ils venoient luy présenter ce qu'elle desiroit; mais jamais elle n'a eu que du rebut & de l'horreur de leurs presens. En voicy un exemple tiré de son Journal.

Le 7. Juin 1662. j'avois eu, dit-elle, une envie êtrangement forte de manger du citron; & il me semble que si j'eusse pû en avoir un, en un lieu où personne ne m'eût veuë, je l'aurois mangé de bon coeur: Je trouvois quantité de raisons pour justifier mon désir: Néanmoins quelques-unes de nos Meres ayant voulu qu'on en départît entre nous toutes, deux qu'on avoit apporté de France ce jour-là; je rompis ce dessein; & comme elle poursuivit dans la resolution, je cotinuay fortement à y faire opposition; & j'étois resoluë si on en eût donné, de n'y pas toucher, quoy que ma tentation s'augmentât vivement. Je disois à part moy, si je le pouvois sentir à mon aise, cela me donneroyt un peu de soulagement. Comme je pensois à cela, la méme personne qui avoit pour de bonnes raisons, pressé qu'on en donnât à toutes, en prit un, & le perçant avec une grosse épignel, commença d'en succer du jus; (peut-être n'en fit-elle que semblant ;) mais elle me voulut obliger par un motif de charité, d'en goûter, & elle m'en fit grande instance. Je m'en excusay, & ne voulus pas méme en souffrir l'odeur; mais en verité c'était bien malgré moy que je m'en abstenois: Je ne sçay si j'eusse été seule, ce que j'eusse fait. Etant allée au Refectoir à midy & au soir, il me fut impossible de manger, quoy que j'y fisse effort; je ne pû méme boire, quoy que j'eusse une grande soif: mon citron étoit, ce me semble, l'unique chose qu'il me faloit. La nuit suivante, trois jeunes hommes assez bien-faits, vêtus de robes longues, & ayans la tête découverte, deux desquels portoient deux flambeaux de cire blanche, entrerernt dans nôtre chambre: le 3. marchoit au milieu, tenant entre ses bras un pannier fort bien travaillé, remply de parfaitement beaux citrons; ilsle poserent sur la table tout vis à vis de moy, & furent environ un quart-d'heure sans me rien dire. Ils me donnoient le temps de considerer un si beau fruit; l'odeur en étoit excellente & reveilloit en moy le desir d'en manger: Apres ce temps ils approcherent ce pannier pres de moy, & m'inviterent d'en manger, m'asseurant que Dieu étoit content de la privation du jour precedent, qu'ils étoient venus de sa part; & que je n'eusse aucune doute. Je ne dis rien, & ne témoignay point que j'eusse d'envie d'y toucher. Mais voila ce que je pensois. Je suis asseurée que Dieu ne me doit rien, pour le peu d'abstience que j'ay fait de ce fruit, laquelle fut méme d'une tres-mauvaise grace. Ainsi cela n'exige rien de pareil à ce que je vois, & n'est icy le temps ny le lieu de manger: Mais si tant est que ce que j'ay fait agreé à Dieu, il faut faire le sacrifice tout entier, & ne pas toucher à ceux-cy. Pour lors celuy qui tenoit le pannier, me donna un grand coup de poing au côté de la tête, & tout cela s'évanoüit. Il resta une si mauvaise odeur dans la chambre, que je ne pouvois empécher les soûlevement de coeur. Ce qui m'obligea d'ouvrir la fenêtre, crainte que le bruit que j'aurois fait en vomissant, n'éveillât celles qui couchoient proche de moy. Voilà ou aboutirent les beaux citrons avec leur verdeur & leur pannier, & le maître du fruit.

Il luy est arrivé souvent que sentant de la repugnance & de l'horreur de diverses choses; pour se vaincre soy-méme, elle alloit au delà de ce qu'elle auroit dû faire dans le cours ordinaire; jsuqu'à avaler des phlegmes puants & pourris des pauvres gens tout-à-fait infectez des maladies tres-dangereuses dont elle sentoit de l'aversion. Elle les prenoit dans son moucheoir sans qu'on s'en apperçeût, & malgré toutes les resistances horribles qu'elle ressentoit dans cette action, elle domtoit ainsi la nature, voulant qu'elle fût soûmise à la grace.

Mais en quoy elle disoit qu'il se faloit mortifier principalement; c'étoit à domter les passions du coeur, les desirs, les joyes, les tristesses, les craintes, les impatiences & la colere, nos aversions & nos inclinations naturelles; non seulement n'en laissant échaper aucuns actes au dehors, mais les retranchant méme dans leur source; parce que JESUS-CHRIST regardoit le coeur plsu que toute autre chose, & qu'il avoit recommandé si particulierement la purete, & la paix du coeur. Elle ajoûtoti que lorsque la douceur étoit au coeur, aisément elle se répandoit du coeur sur le visage, sur nos paroles, & sur tout nôtre exterieur, & que c'étoit hypocrisie de paroître au dehors chaste, humble & debonnaire, si le coeur ne l'étoit.

Elle disoit que l'Oraison étoit la source de toutes les vertues solides, & qu'il n'est pas possible d'en posseder longtemps aucune, sans le don d'Oraison; puis qu'il les faloit demander à Dieu, & qu'il les faloit considerer en JESUS-CHRIST, qui étoit le Dieu des vertus, & qui nous en avoit donné les exemples durant tout le cours de sa vie; ayant voulu se faire homme, afin d'étre visible aux hommes, & qu0ils le suivissent en tous les âges & en toutes les fonctions de la vie humaine. Prions (disoit-elle) comme) JESUS-CHRIST a prié: obeïssons comme il a obeï; soyons humbles de coeur imitant son obeïssance; souffons avec patience comme il a souffert; mourrons comme il est mort; & vivons comme il a vécu; que son silence soit la regle du nôtre; & sa charité le mdele de la nôtre. C'est ainsi, disoit-elle, que nous vivrons de la vie de JESUS, & qu'ayant quitté nôtre vie naturelle / nos passions qui ne regneront plus en nous, nous pourrons dire avec l'Apôtre: Je vis, non ce n'est plus moy qui vis, c'est JESUS-CHRIST qui vit en moy.

Quoy qu'elle passât une bonne partie de ses nuits en l'Oraison, donnant le jour à la charité & à l'obeïssance; Toute fois elle disoit que proprement le temps de l'Oraison ne devoit pas étre celuy que l'on passe à son Oratoire, ou devant le tres-saint Sacrement; mais que les Oraisons jaculatoires nous devoient accompagner par tout, offrant tout à Dieu, & l'aimant en toutes choses, & toutes choses en luy; afin que par ce moyen nôtre conversation fût au Ciel, & nôtre coeur coeur où étoit JESUS-CHRIST, nôtre thresor & nôtre tout. Elle disoit que c'étoit en cette manière que saint Paul avoit dit qu'il faloit prier sans relâche & sans intermission.