Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-7. La traversée vers le Canada

CHAPITRE VII.
Sur mer étant malade à mourir, la sainte Vierge luy apparoît
& la guerit

De Nantes, il falut promptement se rendre à la Rochelle, ou l'embarquement se faisoit.

Le 27. du mois de May elles s'embarquerent, & trois jours apres elles firents voile.

Au mois de Juin elle tomba malade, & son mal s'augmentant, elle fut reduite à l'extrémité; mais elle fut miraculeusement guerie. Voici ce qu'elle en dit.

Etant sur Mer pour venir en ce païs, je fus malade de la peste jusqu'à l'extrémité, & on n'attendoit que le moment auquel je deusse expirer. Dans cét état, je priay qu'on me laissât un peu de temps seule, on y eut de la peine, mais pour me satisfaire, tout le monde sortit de ma chambre: j'avois pour lors l'esprit dans un grand calme, & j'étois tres-contente de mourir dans le voyage, d'autant qu'il me sembloit que je rendrois en cela plus d'hommage aux volontez de Dieu. comme j'étois donc seule, pensant à Dieu avec paix & confiance, voilà qu'un gros dragon se met à côté de moy. Sa gueule grande & ouverte sembloit me vouloir engloutir. Il tenoit deux griffes levées en haut, comme pour me saisir, si-tôt que je serois jugée. J'eus une grande peur à la veuë de ce monstre d'Enfer: mais ce qui pensa me faire mourir, fut la veuë claire & distincte du nombre & de la qualité de tous mes pechez qui me parurent si horrible que moy-méme je me condamnois à l'enfer dans ce moment; car cette veuë ne dura pas. Je jettay ensuite un soupir & adoray sans rien dire, ce que Dieu ordonneroit de moy à toute éternité. Aussitôt cette veuë horrible s'effaça de ma mémoire & de mon esprit, & je prie Dieu que jamais telle chose ne m'arrive, car je craindrois de tomber en desespoir. Le dragon demeura là encore, & me fit comme l'abregé de tous mes pechez passez, m'asseurant que la rage & le desespoir suivroient une si malheureuse vie; je ne me souvenois de quoy que ce fût qui me pût donner tant soit peu de consolation; car il ne me venoit point en la pensée d'avoir fait aucun bien en ma vie. Dans cette extremité je tournay mon coeur à Dieu, & je croy que je luy dis ces paroles: Mon bon JESUS! j'ay toûjours esperé en vous, j'y espere & je mourray avec paix, dans la confiance que j'ay qu'à toute éternité, je ne me départiray point de vos saint volontez: damnez-moy, j'en suis contente; mais mon Dieu! en enfer j'y feray vôtre sainte volonté, & puisque vous avez dés mon bas âge imprimé si avant dans mon coeur ce desir, il y restera à toute éternité, malgré l'Enfer.

M'adressant ensuite à la sainte Vierge, je luy dis avec toute la tendresse & la confiance d'un enfant envers sa bonne mere: hé bien sainte Vierge, il sera donc dit qu'une personne, laquelle apres Dieu a mis toute sa confiance en vous, sera damnée? j'en suis contente sainte Vierge, & en Enfer vous y serez ma Reine, ma Dame, ma maîtresse & ma mere. Je veux vous aimer plus que si j'étois à vos pieds dans le Ciel. Oüi je vous proteste que mon amour y sera plus grand pour vous, que la rage & la haine des demons & des damnez. Comme j'achevois de luy parler, je la vis paroître comme une Dame pleine de majesté & de douceur; le dragon s'enfuit à la veuë de cette sainte dame, & elle me dït: Ma fille & ma soeur! tu as blessé le coeur de mon Fils & le mien: si tu veux mourir, ne crains point, le demon ne te sçauroit nuire, je suis icy pour te recevoir. Mais on te demande encore pour la terre; que veux tu? Ce que je veux sainte Vierge, vous le sçavez; que la volonté de vôtre Fils & la vôtre soit faite en moy? Vous resterez donc encore au monde; mais avec incertitude de vôtre salut: pensez-y? Helas ma chere Mere! je n'ay rien à choisir que ce que vous aimerez le mieux. Je sentois pourtant un grand combat; mais je ne pouvois avoir de desir que pour la volonté de Dieu. Elle toucha d'un doigt ma peste, laquelle s'étant ouverte au méme temps, mon coeur commença à se fortifier: Elle s'en alla me donnant sa sainte benediction, & me laissant l'ame comblée de douceur & fortifiée pour tout souffrir, avec un entier abandon aux volontez de Dieu.

La fiévre cependant fut continuë, la plus ardante & la plus violente du monde, avec une espece de ceinture autour du corps composée d'onze charbons de peste: Sur mer, dans un Navire, où quelque soin que l'on puisse avoir d'une malade, on peut dire que quasi tout luy manque, mais sa vertu ne luy manqua pas.

Ce qui la travaillot le plus, fut la soir, l'eau douce ayant manqué dans le Vaisseau; on mettoit des linges pour recevoir la rosée du Ciel, qu'on luy portoit pour luy donner quelque soulagement, & quelque petit rafraichissement.

Plusieurs dans le méme navire étoient tombez malades avant elle; & Monsieur de Repentigny General de ladite Flotte en étant mort depuis huit jours, avoit été trouvé le corps demy couvert de taches de pourpre noir, larges comme des doubles.

la mort n'étoit pas ce qui étonnoit nôtre heureuse malade, qui recevoit avec joye cette maladie, & toutes les incommoditez qui l'accompagnoient, comme un don de Dieu qui n'est pas moins precieux que la santé; sa patience y fut invincible, son obeïssance toûjours constante, sa douceur en tout inalterable, sa resigantion aux volontez de Dieu toûjours égale; elle ne se plaignoit que de soy-méme & de son peu de vertu.

Ses deux compagnes, la Mere Anne de l'Assomption & la Mere Jeanne de saint Agnes, ly tinrent toûjours fidelle compagnie, & elles prenoient plaisir d'exposer leur vie pour la sienne.

La Mere Anne de l'Assomption étant arrivée à Quebec, en écrivit la méme année à la Reverence Mere de saint Augustin, Fondatrice du Monastere de Bayeux: Je voyois bien, dit-elle, le danger où je m'exposois, mais j'eusse plûtôt perdu mille vies si je les avois euës, que de manquer à ce devoir. Je n'avois que trop de motifs qui m'y engageoient. En verité on peut dire d'elle que'elle est la bien-aimée du Seigneur; & en deux sens, qu'elle est l'amour & les delices de la nature & de la grace; tant pour ses bonnes qualitez, que parce que tout le monde l'aimoit par tout où nous avons passé. Elle charmoit tout le monde par ses vertus, & par je ne sçay quel présage de sa future sainteté; les petits Villageois souvent se mettoient à genoux devant elle.

Cette apparition qui luy arriva en cette maladie, est semblable à ce qui est écrit du bienheureux Stanislas de CostKa, qu'étant malade dangereusement, le Demon luy apparut en forme d'un chien d'enfer, comme pour le devorer. Apres quoy la sainte Vierge luy apparut & la consola.