Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

I-10. Sa grande considération

CHAPITRE X
Sa grande consolation est au saint Sacrement

Je ne veux pas parler d'une consolation sensible : nous verrons dans la
suite que ses consolations étoient bien audessus des sens, qu'elles étoient
épurées, toutes spirituelles, & vraiment crucifiantes.



Il ne se passe aucune semaine que nous n'ayons deux Communions, outre celle de la regle; (écrit-elle à cette méme Superieure de Bayeux) je vous laisse à penser quelle consolation j'en reçois: Aussi est-ce la toute nôtre joye, dans les afflictions & les croix dont nôtre Seigneur nous fait part. Priez, ma chere Mere! cét aimable Sauveur pour moy afin que je fasse mon profit de tant de biens qu'il me donne.

Une année la terreur des Iroquois fut si forte dans Quebec méme, dans la crinte qu'on étoit d'une irruption de ces ennemis de la Foy dont on se voyoit mencé, que l'on jugea à propos que les Religieuses Hospitalieres & Vrsulines quittassent leurs Maisons la nuit, & s'allassent refugier en un lieu de plus grande asseurance; car tout étoit à craindre de ces Barbares. Durant le temps de ces allarmes, ces bonnes Religieuses sortoient sur les six heures du soir de leur Maison, comme en procession et n'y retournoient que le lendemain sur les six heures du matin. Il ne restoit dans le Couvent que deux ou trois Religieuses ou de Choeur, ou Converses; tant pour y garder le dedans de la maison, par parce que les domestiques demeuroient à garder le dehors, que pour y tenir compagnie au saint Sacrement. Nôtre heureuse Catherine de saint Augustin desira que le sort tombât sur elle, & quasi toûjours, ce fut elle qui demeura la gardienne de la Maison: ce qui étoit une consolation merveilleuse, & pour les Soeurs qui y restoient, & pour les domestiques qui courant avec elle le méme peril de leur vie, se promettoient par ses prieres une protection particuliere de nôtre Seigneur; & se sentoient tellement animez de ce qu'elle leur disoit, avec un ferveur & une force toute divine, qu'ils se fussent estimez heureux de mourir avec elle. Le plus puissant motif qu'elle avoit, étoit de pouvoir en ces occasion passer en prieres devant le saint Sacrement une plus grande partie de la nuit; & consommant les saintes especes qui étoient dans le saint Ciboire, en cas d'une irruption des Iroquois, ou de mourir sur le lieu martyre portant JESUS-CHRIST dans son coeur, ou d'étre emmenée captive par ces barbares, & de s'y voir abandonnée ou brûlée dans leur païs pour son Sauveur, qui le premier avoit été abandonné & mis à mort pour elle: Outre cela ce qui la consoloit extrémement, c'étoit que s'estimant la moindre de la Maison & la plus indigne de vivre, s'il y faloit mourir, elle aimoit mieux par charité & par justice que cét accident tombât sur elle, que sur aucune autre de ses Soeurs.

Voicy une Histoire bien remarquable qu'elle écrit elle méme dans son Iournal

Un jour étant devant le saint Sacrement avec beaucoup d'inquietude, à cause d'une grande douleur qui m'étoit survenuë le matin tout d'un coup dans une dent; cette douleur n'étoit point comme celles qu'on a accoûtumé de ressentir aux dens: Il me semble que cela faisoit joüer quantité de ressorts dans ma tête, & que tout venoit aboutir à ceette dent. Cela me causoit une inquietude étrange; car mon esprit étoit tout renversé. Apres la sainte Messe je sentois une grande pante à demander à Dieu qu'il m'ôtât, ou du moins qu'il soulageât ma douleur, ou mon inquieteude: Toutefois, je pensay qu'il valoit mieux luy abandonner tout, & ne rien demander: Ainsi je tâchay, bien qu'assez imparfaitement, de produire quelques actes de vertu: J'avois grande peine à rester devant le saint Sacrement; il me sembloit que si j'eusse éteé ailleurs, mon mal eût été beaucoup soulagé. Je me relous avec une indignation étrange contre moy-méme de reste là, & cela comme par dépit: je fus bien une bonne demy-heure en cét état; auu bout de laquelle je sentis comme un air subtil, qui sortait de ma dent malade, & tout d'un coup mon esprit reprit sa premiere tranquillité. Cét air que j'avois senty sortir de ma dent s'arrêta demant moy, commeune vapeur un peu noire, de laquelle en peu de temps je vis sortir & se former comme un fantôme, lequel se tenant debout devant moy, dit: regarde moy bien. Il y a 25. ans que je t'ay guerie d'une dangereuse maladie: on a tant été en peine qui était cét habile Chirurgien: c'est moy-méme. Si tu veux, je porte icy d'excellens onguens avec moy, je t'en donnery; & si tu t'en sers, jamais plus tu ne sentiras de douleur. Ses drogues ne me revenoient pas. je trouvois en effet qu'il ressembloit à celuy qui m'avoit guerie au temps qu'il m'avoit dit; & je pensay que le diable avoit bien eu de la charité pour moy en ce temps-là: Il fit réponse assez promptement à cette pensée, que c'étoit bien malgré luy, mais qu'il sçauroit bien retourner au lieu d'où il étoit sorty, & y faire pis qu'auparavant. Je tournai mes yeux & mon coeur ver le saint Sacrement, & il me semble que je dis cecy: Mon Sauveur & mon tout! si la demeure des demons vous est agreable dans mon corps, je suis contente qu'ils y fassent un aussi long séjour qu'il vous plaira; pourveu que le peché n'entre pas avec eux, je ne crains rien, & j'espere que vous me ferez la grace de vous aimer à toute éternité, quan bien méme je serois au fond de l'enfer. Je continuay un peu de temps à parle à nôtre Seigneur, & je ne vis plus cét homme; mais je sentis la méme douleur qu'auparavant. Apres le dîné, je déliberay de m'aller promener, pour tâcher de dissiper mon mal; & comme j'étois allée saluer le saint Sacrement, en sortant du Choeur, je me sentis comme arrêtée tout court, & je jugeay de là, qu'il faloit préferer la compagnie de nôtre Seigneur à mon plaisir, & ne pas chercher ailleurs du divertissement. Ainsi j'y restay jusqu'à cinq heures du soir, sans en sortir. Pendant le Sermon j'entendois une voix qui sortoit de ma dent malade, qui contredisoit à tout ce que le Prédicateur disoit; & à la fin comme il raportoit des exemples qui l'avoient touché, il s'excita une si furieuse tempête dans mon esprit, que je ne sçavois où j'en étois. Cette vois me dit: Ne vois-tu pas bien que ce n'est pas JESUS-CHRIST qui est dans l'Hostie? Qu'en crois-tu? Je ne répondis rien; mais je ne croyois pas ce qu'il me disoit; & il me venoit aussi force objections à chaque parole que proferoit le Pere. Je fus en cét état jusqu'au Salut; & lorsque je voulus commencer Benedicta & venerabilis es Virgo maria; Je pensay tout quitter; car je ne sçavois ce que je disois; étant arrivée à ces paroles, Quae sine tactu pudoris : je me sentis entierement délivrée de l'embarras où j'étois, & de ma douleur. Cela arriva le 17. juin 1663.