Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

III-10. Redoublement des tentations

CHAPITRE X
Les démons qui l'obsedent, luy causent un redoublement de tentations de toutes sortes, dans des excez horribles.

On ne peut voir ny plus clairement, ny plus fidelement l'état de son ame, que par le recit qu'elle en faisoit tous les ans à un Père Iesuite, qui avoit été son Directeur depuis l'année 1650. jusqu'en l'année 1662. qu'il partit de Quebec pour la France. Voicy comme elle luy écrit du 24. Septembre 1663.

Mon cher Pere! je vous diray que la conduite de Dieu sur moy continuë, & que tres-souvent, ou pour mieux dire continuellement, je sens d'étrange revoltes à me soûmettre à cette conduite. Ie murmure contre Dieu, & cela tres-souvent; & je ne sçaurois assez vous expliquer l'indignation que jay & contre luy, & contre sa tres-sainte & digne Mere: C'est bien loin de les aimer, comme vous le pensez. Lorsque ces malheureux démons m'obsedent, je fais icy sur terre le malheureux métier qu'ils font eux-mémes dans l'enfer: Et pour lors il me semble que je le continueray à toute éternité: Car mon cher Pere, mon ordinaire occupation interieure en ce temps-là que je suis obsedée, & l'expression que mes paroles donnent aux sentimens de mon coeur, c'est de proferer les blasphémes, execrables. Ce n'est pas sur un sujet particulier, ou sur un seul attribut de Dieu; car je repugne à tous, & j'ay du rebut & de l'horreur pour tous. Tres-souvent il me sebmle que je n'ay point de foy, & n'en veut point avoir; & méme si peu qu'il m'en reste, m'est un supplice. Ne croyez pas s'il vous plaît que ma peine soit causée d'aucune façon d'aucune crainte d'offencer Dieu, mon cher Pere, je vous le dis dans la sincérité; la peine que l'état present où je suis me cause, est de n'étre pas souvent avec assez de plenitude semblable aux démons. J'ay une horreur extréme de m'approcher de la sainte Communion. Et en verité je choisirois plûtôt d'étre entre les mains des Iroquois, & d'entrer dans un feu; que de recevoir Nôtre Seigneur, & la peine en ce point est au delà de ce que je vous en puis exprimer. Et voicy le principal motif de ma peine; c'est de me voir obligée malgré moy, de souffrir l'union que Nôtre Seigneur daigne faire en moy, en se donnant luy méme à moy. Or comme je sens une haine tres-grande pour luy, je ne sçaurois souffrir cette union qu'avec une espece de martyre: Ce n'est point du tout la veuë de mon indignité qui me cause de la peine, car je ne m'en soucie nullement; mais comme je vous ay déja dit, le déplaisir de ne pouvoir pas encre étre pire.

J'ay un grand rebut de tout ce qui m'assujettit, & je voudrois faire ma volonté, & n'étre pas obligée à suivre celle d'autruy. J'ay souvent de l'indignation & de la haine contre celuy à qui je dois obeïr comme à Dieu; & si mes souhaits étoient suivis des effets, il y a longtemps que le bon Pere seroit en l'autre monde, & méme fort malheureux: car en ces temps-là d'obsession, ma charité est telle pour ceux qui m'obligent le plus, je leur souhaite force mal. Ainsi prenez garde de m'obliger.

Les démons continuent de me tenir compagnie; mais ils sont plus sensibles; leur nombre a augmenté, & leur pouvoir plus grand; & assez souvent je m'en trouve si investie, que je suis comme une personne qui est prise de toutes parts, laquelle ne sçait par quel côté s'échapper & se sauver; d'autrefois je les sens comme me remplissant, & l'operation d'un chacun m'est sensible distinctement, tant pour le nombre, que pour le rang qu'ils tiennent, ou plûtôt qu'ils ont tenu.

J'ay eu à souffrir à l'occasion de cette bonne fille dont on vous écrit; car souvenet les démons m'en ont fait sentir leur rage, & interierement & exterieurement. Cela m'est arrivé aussi à l'occasion d'autres personnes, pour lesquelles je m'étois offerte, sans presque le vouloir, ny méme y faire de reflexion.

Quelquefois je voy les démons, & je les entens parler; mais cela fait peu d'impression & d'effet sur mon esprit: Ce n'est point ny leur veuë, ny leurs discours qui penetrent le plus; l'operation interieure est bien plus forte.

La tentation d'impureté n'est pas maintenant celle qui me donne le plus de peine; quoy que pourtant elle continuë assez constamment & fortement. L'impiété a plus d'empire maintenant, & la peine que j'en souffre est de la façon que je vous ay déja dit, qui est de n'étre pas encore assez impïe.

Mais voicy le compble de mon tourment, & ce qui pour lors m'est plus insupportable. C'est que le Reverend Pere de Brebeuf, que le Pere Châtelain m'a confirmé pour mon Directeur, me fait dédire de mes murmures & impietés, & m'oblige de rendre à Dieu les adorations qui luy sont deuës; en sorte que lors méme que mon esprit est plus revolté, il me fait proferer de bouche le contraire de mes desirs; & cela sans que je puisse y resister. Il me fait abandonner à Dieu, lors que j'en ay plus d'éloignement, & quoy que je sente une étrange peine à le faire. Ce Directeur celeste n'a égard ny à ma peine, ny à mes dépits: il me fait passer pardessus tout, sans dispense aucune.

Une autre peine non moindre que la precedente, est que depuis huit mois il m'arrive assez souvent de me trouver presque en méme temps, dans deux états bien opposez: car soudain je me trouve comme une personne de l'autre monde, lors méme que les démons agissent plus fortement sur moy: & je ressens dans ces momens une union si intime avec Dieu, qu'il me semble que je puis dire pour lors avec verité; ce que la sainte Epouse di: « Que son bien-aimé est tout à elle, & qu'elle est toute à luy. » Alors assez souvent on me donne la pensée de m'offrir à la divine Justice, pour satisfaire, non pour moy, mais pour les autres; & l'on memarque méme quelquefois de certains pechez; & des personnes particulieres pour lesquelles il est expedient que je m'offre à Dieu, sans qu'il me soit libre de faire aucune relfexion s'il est à propos de le faire, ou non. Je m'y donne, & m'y abandonne absolumenet, sans pouvoir m'en empécher. Apres ces momens je viens dans mon état d'enfer; & pour lors je sens une grande peine de ce qui s'est passé, & je n'en ay d'idée, que pour accroître ma peine. D'autre part je ne puis douter que cette operation n'ait été de Dieu; & d'autre côté les démons s'efforcent de me donner du trouble, & de me persudader que ce n'a été que pure illusion : Ils me font sur ce sujet diverses insultes. Je vous asseure, mon cher Pere, que la peine que je souffre à cette occasion est telle, que je coisirois de bon coeur de ne ressentir jamais ces douceurs: & de fait cela est si opposé à ce qui se passe continuellement en moy, que c'est avec bien du sujet que je dois craindre la tromperie. Dans le commencement je m'étudios fort à étouffer ces sentimens, mais assez inutilement: car toute mon étude ne me servoit qu'à augmenter ma peine.

Il est à noter que les plus grands Saints qui on reçu du Ciel des graces plus extraordinaires, ont eu souvent les plus grandes craintes qu'ils ne fussent dans l'illusion: comme il est arrivé souvent à sainte Therese; Dieu ayant permis aux démons de la persecuter & de l'épouvanter, luy apparoissant, tantôt en Anges de lumieres, tantôt sous des formes monstrueuses, qui vomissoient des flammes de leur bouche infernale, & des voix effroyables, & ces horribles paroles: « Tu t'es échappée de nos mains mais bien-tôt nous te possederons. » Un jour ils tourmenterent cette Sainte pendant cinq heures entieres, avec de si horribles douleurs, & avec un trouble si grand au corps & en l'ame, que cela luy étoit insuportable. La cause principale de la rage des démons contre cette grande Sainte, étoit lors qu'elle obtenoit de Dieu de délivrer quelques Ames de la captivité du peché, ou des peines de Purgatoire: le zele admirable de cette Sainte la portant à se charger des pines des pechez d'autruy pour les en délivrer; tous les tourmens des démons; pourveu seulement qu'il luy plût de la soûtenir de sa main, & de la conserver en sa grace. C'est justement ce qui est arrivé à nôtre Catherine de saint Augustin.




Ceci: « Car mon cher Pere, mon ordinaire occupation interieure en ce temps-là que je suis obsedée, & l'expression que mes paroles donnent aux sentimens de mon coeur, c'est de proferer les blasphémes, execrables. » serait l'effet de l'obsession.