Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

III-1. Dieu la dispose aux grandes souffrances.

CHAPITRE PREMIER
Dieu la dispose aux grandes souffrances par son amour & par le desir des souffrances.

L'année 1658. Nôtre Seigneur dilata grandement son coeur, par des desirs extraordinaires de souffrances de son saint Amant. Voicy ce qu'elle méme en écrit.

a 7. journée des Exercices, m'étant occupée dans mes deux premieres meditations à la consideration de JESUS conversant parmy les hommes & les enseignant, mon coeur a été extraordinairement touché & animé à suivre les exemples de ce divin Maître; sur-tout quand il invite à étre debonnaire & humble de coeur, à aimer les persecutîons, les mépris, les humiliations interieures & exterieures; & il me sembloit que souvent i lm'adressoit particulierement ces paroles; Qui vult venir post me, abneget semetipsum, tollat crucem meam; (changeant ce mot crucem suam, en crucem meam:) comme me voulant dire, cette croix est à moy avant que d'étre à toy; car je l'ay santifiée: elle est mienne, puisque je souffre avec ceux qui souffrent pour mon amour; elle est mienne, parce qu'elle est selon mon choix, & non pas selon la vôtre. Mon coeur répondoit à cela. Oüi mon Dieu! c'est la vôtre, je la reçois comme telle, je la veux cherir; je la veux aimer, rien ne m'en pourra separer: fiat, fiat.

Pendant ma troiséme meditation, je me suis sentie attirée à écouter comme la Magdelein, les paroles de JESUS-CHRIST; & pour cét effet m'étant prosternée à ses pieds, j'ay tout d'un coup ressenty, comme si une voix interieure m'eût dit; demandez au Seigneur qu'il vous enseigne. Plus je me suis sentie poussée de faire cette demande, plus je m'en suis éloignée, à la veuë de mon indignité. Apres avoir resisté un peu de temps; enfin jettant les yeux de l'esprit sur Nôtre Seigneur, duquel je sentois la presence plus réelle que si je l'avois veu de mes yeux du corps, j'apperçeus qu'il jettoit les yeux sur moy; & à méme temps je sentis une grande confiance, quoy que mélée de crainte. Je luy dis avec respect, Monseigneur! je voudrois étre une seconde Magdeleine en amour. Je suis pecheresse, mais souvenez vous qu'elle la été avant que d'étre vôtre sainte Amante: vous luy avez départy si souvent le pain de vôtre sainte parole. Donnez moy ô mon JESUS! une petite miette de ce pain tout divin: Alors, il me dit: bannissez la crainte de vôtre esprit, afin que mes paroles entrent dans vôtre coeur. Incontinent je me trouvay dans un calme profond: & pour lors il commença à me dire Vulnerasti cor meum soror mea, sponsa mea, vulnerasti cor meum! Tu t'étonnes de ces paroles; tâche qu'elles soient veritables en toy. Toute ame qui aime la croix, /& qui pour mon amour s'y attache, & n'en veut point sortir, me navre le coeur & me fait une playe toute d'amour. Telle ame est ma soeur, mon épouse, ma bien-aimée, & la compagne de ma croix. Ne l'es-tu pas, ne la veux-tu pas étre? Sçaches aussi que souffrant pour les pecheurs, tu me fais un aussi grand plaisir, comme si au temps de ma Passion tu eusses essuyé avec un linge pur & net, les crachats qui couvroient ma face; & qu'avec un baume odoriferant, tu eusses frotté mes playes & meurtrissures. O si on sçavoit combien je prise la charité desinteressée, on s'oublieroit de soy-méme pour le salut de son prochain. Tu n'es pas encore capable de penetrer les tresors cachez dans cét abandon; mais un jour viendra que tu seras contrainte de me dire que j'ay trop de bonté pour toy: Il faut qu'en attendant ce temps-là, tu me laisses faire mes volontez en toy. Mais entens bien que je veux étre absolu: Je suis ton Roy, ton Seigneur, ton Maître, ton Pere et ton Epous: C'est à toy à correspondre à toutes ces à toutes ces qualitez: Souffre avec paix, avec joye, avec amour & constance; humilie-toy dans ta bassesse, supporte les foiblesses de tes autres; compatis aux affligez; & réjouis toy de voir mes Elûs persecutez. C'est leur gloire, c'est la mienne; ne quitte pas le chemin que tu tiens, à moins que de quitter la vraye voye du Ciel; laisse dire & penser de toy ce que l'on voudra; qu'il te suffise de me chercher en esprit & verité. Ne t'étonne pas que la douceur de mon amour se tourne en amertume en toy, car ce n'est que pour te benir avec plus d'amour. La croix sera vôtre partage, & la paix possedera vôtre coeur. Il m'est resté un solide desir d'étre tout à Nôtre Seigneur, & de suivre avec fidelité ce chemin Royal de la sainte Croix, & d'étre soûmise à ses ordres, & à tout ce qu'il voudra: Et quoy que le choix me fût libre, de changer l'état present où je suis avec l'état des Bienheureux, je ne le voudrois pas.

Cette méme année 1658. le jour & Fête de tous les SS. comme on lisoit l'Evangile, elle vit que toutes les huit Beatitudes lui convenoient entierement; & que quoy que pour lors la tentation d'impureté l'inquietât extraordinairement, elle ne laissoit pas de posseder la pureté de coeur; & cela avec une telle asseurance, qu'elle ne pût jamais se persudader le contraire, n'y voir en elle autre chose que cette impression.