Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-6. Elle voit sa croix

CHAPITRE VI
On luy fait voir une croix où elle devoit étre attachée.

C'est par la Croix que Dieu vouloit qu'elle montât au Ciel, où il luy avoit fait voir sa place préparée, afin de l'animer aux souffrances, en ayant veu la recompense si admirable : Voicy ce qu'elle escrit.

Le premier & le second jour de May 1664. en diverses rencontres j'ay senty la presence du Pere de Brebeuf. Il m'a fait reproche, & ma reprise de ce que je ne rendois pas assez d'honneur à la bonté & à la misericorde de Dieu, parce que souvent je ne voiloit pas croire que l'un & l'autre attribut seroit exercé sur moy. Je n'entendois pas bien au commencement ce que cela voiloit dire: Mais le Pere me l'expliqua, & me dît que je me gardasse bien desormais de plus dire que ne voilois pas aller en Paradis, & que cela n'étoit pas raisonnable; car encore bien que j'en sios indigue, il veut que non seulement j'espere & me confie en la bonté & misericorde de Dieu; mais il veut que cette esperance soit ferme, & que j'envisage déja le Ciel comme ma demeure asseurée. Il m'a aussi donné avis que j'eusse à prier mon Confesseur de n'avoir aucune pitié de moy, & que je ne laissasse rien passer que je ne luy disse au plutôt.

Le 3. May étant devant le saint Sacrement à quatre heures du matin, on me fit voir une grande Croix de cinq à six pieds. Elle me sembla tout herissée de tous côtez. Il y avoit quatre trous, deux aux bras & deux aux pieds. Dans ces trous il y avoit des clous gros & longs; au milieu de la Croix étoit un cercle de fer, qy faisoit le tou, & avoit au milieu une grande pointe. Tout cela me sembla étre apprêté pur y attacher quelqu'un. La Croix avoit un titre de deux lettres C.P. & ces deux lettres faisoient un rejaillissement sur le bas de la Croix, au-dessous des cloux; & y marquoient les deux mémes lettres. Mais la difference que l'on m'y fit reconnoître, est que celles d'en haut signifoient Charité Perpetuelle; & celles d'en bas Croix Perpetuelle. Le Pere de Brebeuf me l'expliquait ainsi, il me demanda pour qui je croyois que fût préparée cette Croix; je luy répondis, pour ceux qui auront bien envie d'y étre attachez. Je n'en avois pour lors aucune envie, au contraire: le Pere insista, & me fit entendre que ce n'étoit pas sans raison que j'étois née le jour de la Croix; car je suis née le 3. May, jour de l'Invention de la saint Croix; & ainsi que cette Croix étoit préparée pour moy. Je ne me rendois pas volontiers à cela, ne jugeant pas avoir dû étre née le jour de la Croix, pour en recevoir aucun avantage : Toutefois je me sentis tout d'un coup pour lors changer de disposition, & je desiray avec ardeur de pouvoir étre attachée à cette Croix, quoy qu'il m'en dût arriver. Alors il me sembla qu'on m'y attacha avec promptitude & beaucoup de douleur interieure; quoy que de l'autre côté je le fisse avec joye. Le Pere me dît que les colux des mains devoient étre la force & la longanimité; ceux des pieds, l'humilité & la patience. Le cercle, une soûmission & abandon d'amour aux volontez de Dieu ? Bref il me fit entendre que desormais il ne me seroit plus permis d'admettre aucun desir pour sortir de la croix; qu'il y faloit demeurer fermement; Ce qui étoit marqué par la pointe de fer, qui entrant dans le dos, arrétoit tout le corps & le rendoit immobile; Que la pensée que j'avois souvent que la France me seroit plus favorable pour ma perfection, étoit un artifice du démon; qu'il me défendoit d'y plus songer; Que lorsque je me trouverois dans des encontres où il y auroit quelque chose de rebutant & de contrariant, je me donnassse de garde de les quitter, sans pretexte de vouloir éviter de commettre quelque faute; que plûtôt je restasse sur le lieu méme, afin d'avaller tout à loisir l'amertume. Cét entretien me penetra pour lors vivement, & le desir que je sentois d'étre entierement crucifiée, ne me faisoit trouver difficulté à quoy que ce fût. C'est pourquoy je m'abandonnay à tout, à l'aveugle.

Environ deux heures apres mon esprit fut remply de crainte, & ce desir de souffrir s'évanoüit. Je vis en ce temps un démon qui me dît: « C'est moy qui suis le destructeur de la goire de Dieu: J'ay bien fait joüer tantôt ton imagination, je me ris de ta crédulité. C'est moy qui t'ay fait voir ce que tu penses venir de Dieu : Qui es tu, pour que Dieu se souce de toy ? Crois tu avoir aucun merite ? C'est un abus ? S'il étoit ainsi que tu te le persuades, il faudroit dire que Dieu, qui connoît tout & ne se peut tromper, se tromperoit; puisqu'il est vray que tout ce qui arrive, t'est causé & te vient par mon ordre. Ainsi ne desirant pas que tu sois plus lomgtemps trompée, je t'en avertis, afin que tu découvres l'erreur où tues ? Ces paroles me redoubleront la crainte, & elle operoient en moy, non pas un sentiment d'humilité, de ce qu'en effet j'étois indique que Dieu pensât à moy; mais au contraire cela m'excitoit à une haine & à un mépris terrible pour Dieu méme: Neanmoins de fois à autres j'entendois une vois interieure qui me faisoit acquiescer à la premiere veuë, & qui vouloit que je creusse que c'étoit Dieu qui me conduisoit de la sorte. Quoy qu'il en soit, c'est une grande peine d'avoir affaire à deux maîtres si differens.