Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

II-5. Sa place au Ciel

CHAPITRE V
Elle voit la place qui luy étoit préparée au Ciel,
par quatre diverses fois.

Le jour de l'Ascencion de nôtre Seigneur 1957. quoy que je fusse, dit-elle dans son Journal, agitée ce jour là extraordinairement d'une violente tentation; j'eus au temps de mon Oraison, comme un peit instant d'intervalle; pendant lequel je ressentis que Dieu n'avoit pas moins de bonté pour consoler une ame, & la fortifier de son amour, que de rigueur, quand sa main adorable se fait sentir pesante dans l'affliction. Cela ne dura que tres-peu; & dans ce peu de temps, je ne sçay ce que je fis: car quoy que j'en aye la memoire encore toute recente, je ne sçaurois bien m'exprimer: Tout ce que je voudrois dire n'étant pas la chose en effet. Ce qui est vray, est qu'étant bien-tôt retournée dans mes permieres folies, quoy qu'elles fissent beaucoup d'impression sur moy, j'avois neanmoins plus d'acquiescement à toutes les volontez de Dieu, & je sentois un grand desir qu'il continua, méme avec accroissement, sa condruite su moy. Ce qui m'obligea de l'en supplier instamment: Il me souvient que ce fut presque l'unique demande que je luy fis pour lors, & au temps de la Communion. Ce n'est pas que ce desir fût sensible d'une certaine maniere; mais seulement je m'y sentois poussée, & comme pressée, par la veuë que j'avois qu'en cela je ferois plus la volonté de Dieu, car la nature y repugnoit autant qu'elle pouvoit. À deux heures & demie, comme j'étois attentive à écouter le Sermon que l'on faisoit pour lors, j'étois toute triste de ce que je ne pouvois rien concevoir de tout ce que l'on disoit: Cela ne faisoit aucune impression sur mon esprit; & comme j'étois si interdite qu'il m'eût été impossible de dire un seul mot de ce que j'entendois; Je me plaigois à nôtre Seigneur de l'indisposition où je me trouvois, d'étre si endurcie & insensible à ses paroles; nonobstant que j'eusse un bien grand desir de penetrer ce que disoit lePere. Il me semble que son dessein avoit été de nous montrer la façon avec laquelle JESUS-CHRIST regnoit, & devoit regner dans nos coeurs; & particulierement aujour de son Ascension glorieuse: Il fit voir clairement tout cela; mais avec toute mon attention; je ne retenois rien du tout. Ares environ un quart d'heure que le Sermon avoit été commencé, continuant de me plaindre à nôtre Seigneur de ma dureté; j'entendis une vois interieure qui me dît, audi & vide. Je fus un peu émeuë à l'abord; j'eus peur qu'il n'y euût de la tromperie: toutefois le clame s'étant presque en méme temps rendu maître entierement, je regarday le Pere qui préchoit, & je redoublay mon attention à l'écouter, pensant que c'étoit ce que la voix m'avoit fait entendre. Je vis à côté droit du Pere un personnage venerable, vétu d'une Tunique tres-blanche & tres-déliée; par dessus il avoit un long manteau traînant jusqu'à terre, d'un rouge tres-éclatant; des sandales à ses pieds, dont les attaches étoient de couleur de pourpre sur chaque pied, & sur chaque main, & au côté droit un peu en biaisant, paroissoit une escarboucle qui jettoit un éclat merveilleux; sur sa tête il portoit une couronne d'or émaillé de toutes sortes de pierreries; & toutes ces pierreries étoient disposées en lettres, lesquelles assemblées faisoient ces mots en lettre Italique, « L'Agneau qui a été tué, est digne de tout honne, de toute gloire, de toute loüange : Ensuite j'entendis une voix qui disoit: Venite & videte. J'avois plus d'attention à regarder un objet si aimable; qu'à regarder ailleurs d'où venoit le son de la voix. C'est pourquoy la voix recommença, disant Venez et voyez où le Roy de gloire fera sa demeure. Ce Roy de gloire étoit celuy que je voyois. Il jetta un oeillade vers la porte de l'Église; & j'y regarday aussi pour voir quel étoit le sujet de ce regard: Je vis une procession tres-auguste d'ames bienheureuses qui entroient. Saint Jean Baptiste paroissoit à la tête, & portoit une banniere blanche commeneige, sur laquelle étoient écris en gros caracteres rouges, ces mots: «Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi.» Toute cette troupe s'étant approchée, se prosterna profondément devant l'Autel où étoit le Roy. Puis s'étant relevée par son commandement, elle sembloit vouloir l'enlever. Pendant ce temps je pensois, c'est icy environ l'heure que nôtre Seingeur monta au Ciel; peut étre que ce que je vois, me le veut signifier: Mais je voudrois bien sçavoir ce que nôtre Seigneur dît à ses Apôtres en allant sur la montagne, avant que de les quitter. Alors celuy que je voyois & qui me representoit ce veritable Seigneur, sembla me montrer par une petite inclination, qu'il agréoit ma curiosité; & s'approchant ensuite du Prédicateur, il luy souffla sur la bouche, & puis se tint un peu à côté. Aussi-tôt le Pere s'éloigna entierement de son sujet, & dît, « n'y a-t'il pas quelqu'un qui volontiers me feroit cette question, sçavoir quelles furent les dernieres paroles de JESUS-CHRIST à ses Disciples bien-aimez; demandons luy à ce Roy de gloire, & voyons quelle réponse luy méme en daignera faire; » & se tournant vers le saint Sacrement, il demanda lumiere pour connoître ce secret inconnu aux hommes: puis se retournant, il dît: «  Uk ne senbke que j'entens ce divin Roy qui nous dit, que ces dernieres paroles furent les mémes qu'il leur dît en la Cene, dans le Sermon adorable qu'il nous a laissé, & que le Disciple d'amour nous a enseigné dans l'Evangile. » Apres il fit une repetition en abregé de ce Sermon avec beaucoup de zele. Et au méme temps qu'il parloit, celuy qui étoit aupres de luy, sembloit aussi proferer avec luy les mémes paroles; & c'étoit à ce qu'il me semble, ce qui donnoit tout le poids & la valeur au discours, & à l'action du Prédicateur: (Notez que les Religieuses s'apperçeurent bien que le Pere changeoit son dessein, & s'écartoit de son discours;) Le Sermon étant finy, cette procession sembla s'élever en l'air, & le Roy de gloire au milieu de toute cette troupe, étoit porté d'une façon admirable par sa propre vertu: Je le suivois tant que je pouvois, & mon esprit l'accompagna par la permission que j'en eus. Saint Joseph étoit le plus proche à l'entrée des portes éternelles: & ce fut luy, ce me semble, qui parla le premier à la tres-auguste Trinité; & s'adressant à la personne du Pere, apres que la tres-sainte humanité fut placée au lieu destiné, il luy dît d'un langage de Bienheureux; voilà le talent que vous m'auiez confié: Ce talent a si bien profité, que non seulement je vous le rends au double, mais voyez cette troupe qu'il a acquise; je vous rends tout, & vous l'offre. Le Pere Éternel ensuite, non seulement le constitua sur beaucoup de personnes; Mais méme luy dit; « Serviteur fidele! vomme vous avez été l'économe de ma maison en terre, je veux qu'icy vous y commandierz, & que vous y ayez tout pouvoir. » Le Fils méme luy donna pouvoir sur luy, tout Roy de gloire qu'il étoit, & voulut qu'il eût l'honneur de luy commander. Pour lors me tournant vers ce Saint, je luy dis: « Grand Saint je suis à vous, demandez à ce Roy de gloire qu'à toute éternité je ne sois piont separée de son amour: Il ne vous refusera pas en son avenement. » Ma demande me fut accordée, à condition toutefois que j'aurois un soin particulier de ce que j'avois promis le matin; à faute de quoy on me changeroit de lieu: Ce lieu me fut montré, qui étoit disposé en sorte que facilement je serois veuë, & pourrois voir JESUS, Marie, Joseph. J'eusse bien desiré qu'il y eût eu un peu de modification; mais voyant que la chose étoit resoluë, je m'y abandonnay du mieux que je pûs, & me trouvay incontinent bien éloignée du lieu où je pensois avoir été. Il est vray que nonobstant la peine où je me trouvay apres, mon esprit & mon coeur, malgré les sentiments de la nature, trouvoient leur paix & leur repos dans l'état où Dieu me vouloit. Outre que depuis ce temps là j'ay eu plus d'estime de la grande de Dieu & de sa sainteté; & que mon coeur étoit meux disposé, il en auroit beaucoup plus d'amour; & il y a je ne sçay quoy que mon esprit pense mieux, que je ne sçaurois l'exprimer. Ce n'est pas que je veüille me persudader que les choses se passent dans une voye extraordinaire en moy; je sus parfaitement convaincuë que s'il y a de l'extraordinaire, c'est en mes defauts.


Seconde vision qu'elle eut de sa place en Paradis

Sept ans apres, au méme jour de l'Ascension 1664. Dieu luy fit voir pour la seconde fois la place qu'elle auroit en Paradis : Voicy ce qu'elle méme en écrit.

Le 12. May Fête de l'Ascensino de nôtre Seigneur, au temps de la premiere Messe, ayant un grand desir de voir & connoître la gloire de la sainte humanité; mon esprit fut comme enlevé & emporté au Ciel, où il me sembla que je vis ce que je desirois, & de plus la gloire de la saint Vierge, & des Saints. J'ay crû aussi voir les places que nôtre Seigneur préparoit aux Bienheureux. Jen vis une bien spatieuse, & qui répondoit droit aux pieds de Nôtre-Dame, quoy que bien éloignée. Je conçeus un grand desir de pouvoir occuper cette place; mais je n'ozois pas la demander, connoissant combien j'en étois indigne. Alors il me sembla que Nôtre-Dame me dit, que ce seroit pour moy; j'en eus ben de la joye, & luy en fis beaucoup de remerciemens; mais je n'ozois pourtant me promettre de joüir de ce bonheur: Elle m'asseura neamoins que je joüirois, à toute éterneité de la veuë de la presence de son Fils. J'avois pour lors une fort tentation contre la Foy, touchant la seconde personne de la tres-saint Trinité; & ne pouvois soûmettre mon esprit à croire l'égalité. En un moment il me sembla que je penetray jusques dedans la divinité, & que voyant l'humanité, je connus la divinité; en sorte que je fus convaincuë de l'égalité des personnes adorables, & de leur éternité. Je ne sçaurois pas m'expliquer de cela, car ce que je puis dire, n'est pas ce que j'ay conçû. Cela ne dura qu'un moment. Tout c que j'ay oüi dire, leu & sur tout de la gloire immense de JESUS-CHRIST & de la sainte Vierge, n'est rien en comparaison de ce que j'ay connu dans cette veuë. Il me semble que ce fut le Pere de Brebeuf qui m'introduisit proche de nôtre-Dame. Cette veuë ma laissé, au mins dans le temps que les démons me laissent libre, une haute idée & une grande estime de Dieu, de JESUS-CHRIST, & de la sainte Vierge; & ce m'est un motif puissant pour reüeillir mon amour envers eux, & avoir pour ces augustes personnes un respect profond & une reconnoissance continuelle.


Troisième vision

L'année 1665. Dieu luy donna encore une pareille consolation. Voicy comme elle en parle

Le 26. Mars étant dans une grande tentation, je m'en ally devant l'Autel de nôtre-Dame, pour trouver quelque soulagement à la peine que je souffrois. Je n'eus pas plûtôt exposé ma peine à cette Mere de bonté, que tout d'un coup je sentis mon esprit fortifié, & je n'eus aucune difficulté à m'engager pour l'amour d'elle, à m'abstenir de ce dont j'étois tentée extraordinairement. Un peu apres, je vis en méme temps le Ciel & l'enfer ouvert : Dans le Ciel, je vis la sainte Vierge, comme je l'avois veuë, il y a quelques années; & ensuite la place que Dieu m'y prépare. Le lieu où elle reside me parut étre d'une grandeur immense; & je connu que sa place seule, j'en tens le lieu de sa demeure, étoit d'une plus vaste étenduë, que n'est & sera tout ensemble ce qui contient & contiendra à toute éternité tous les Bienheureux; & que cette place avoit pareillement plus d'éclat, que tout le reste du Paradis ensemble; excepté le lieu où est la place de la sainte Humanité, qui surpasse tout infinment. Cette place où est nôtre-Dame, me sembla comme une Ville d'une étenduë immense; elle étoit close tout à l'entour & suspenduë, & tant les murailles que tout le reste étoit transparent de sorte que la sainte Vierge étoit veuë facilement de tous côtez. Les murailles étoient d'un or tres-fin travaillées fort délicatement & émaillées par tout. Il me paroissoit sur le haut de ces murailles une tres-belle corniche, d'une matiere de diamant, mais ravissamment bien faite. Cela rendoit un éclat admirable. Il y avoit quatre grandes portes belles au possible, & enrichies de plusieurs pierres & perles, & toutes pleines de devises faites en l'honneur de la Mere de Dieu. La premiere des portes me parut d'yvoire, belle, luisante, blanche, & si transparente, qu'il n'y a point de diamant qui aye plus d'éclat: la 2. d'émeraude: la 3. d'ametiste: la 4. d'escarboucle; ces portes seules étoient capables d'orner tout le Paradis. Au dedans de ces murailles étoit une ville la plus belle que l'esprit humain se puisse figurer, & infiniment plus éclatante que tous les Palais les plus magnifiques; on y voyoit des jardins, des fontaines, des rivieres: mais tout cela d'une matiere si ravissante, qu'il n'est paspossible de l'exprimer. Les fleurs & les fruits y sont perpetuels; on y entend sans cesse le chant tres-melodieux des Anges & des Saints; & cette harmonie est si bien concertée, & composée de si diverses voix, qu'on ne peut rien entendre de si charmant: Le son des instruments s'y fait aussi entendre d'une maniere si melodieuse, qu'il est impossible de ne pas pâmer de douceur. Tous les sens trouvent là leur rassasiement. Les odeurs y sont si douces, si suaves & si penetrantes, qu'il est impossible de n'étre pas charmé de tant de beautez. Cette ville me sembloit située sur une montagne, & sur cette montagne étoit un Thrône de gloire où est la Mere de Dieu. Ce Thrône est composé d'une matiere si lumineuse, que je ne pus pas distinguer de quoy & comment il étoit fait: Il jettoit de tous côtez des rayons comme un Soleil; mais ces rayons avoient bien d'autres charmes que ceux de cét Astre, & avoient bien un autre éclat. Il me sembloit que la sainte Vierge donnoit un facile accez à tous ceux qui la vouloient aller visiter. Pour ma place, je vis qu'elle étoit directement au-dessous des pieds de nôtre-Dame, & qu'ainsi en m'élevant, rien ne pourroit m'empécher d'aller souvent baiser ses pieds sacrez. Elle me paroissoit étre de dix ou douze lieuÑes d'enteduë, & bien plus ornée que lorsque je la vis la premiere fois: Sur tout une espece de Thrône qui étoit élevé au milieu, & qui avoit aussi bien d'autres embellissements, beautez & richesses; quoy que neanmoins tout ne fût pas encore dans sa perfection. Ie remarquoy méme qu'en diveres endroits il y avoit du vuide, & j'avois pour lors un grand desir que cét Ouvrage fût accomply, & qu'il fût conservé. La sainte Vierge me promit de me le garder si jele voulois; mais à condition de bien souffrir auparavant; & il me sembloit que c'étoit à mon choix de prendre cette place dans le Ciel, ou bien une autre dans l'enfer, qui avoit des qualitez bien contraires. Car elleétoit selon que je la vis, dan un lieu fort profond, tres-petite, & serrée de toutes parts; tres-obscure, entourée & comme penetrée de toutes sortes de maux. Je remarquay dans cette malheureuse region, une confusion si épouventable, que cela me fit grande horreur, & me donna beaucoup d'apprehension d'y aller; ce qui m'est resté du depuis: quoy qu'apres que cette veuë eut cessé, je sentis bien que j'étois revenuë dans mes premieres folies.


Quatrième vision

Le premier jours de Novembre 1666. Dieu la gratifia encore de la même veuë.

Il me fut montré comme en passant, dit-elle, ce que j'ay veu & conçu autrefois du Paradis: on m'y fit remarquer la place que j'y avois veuë, laquelle me sembla avoir plus de lustre. On m'encourageoit pour y arriver: mais je voyois à méme-temps le chemin qui y conduisoit, si difficile & si rude, que cela me faisoit peur. Le Pere de Brebeuf m'encouragea beaucoup; mais je me trouvois dans un abattement si grand qu'il jugeoit que Dieu demandoit de moy. Cela dura tres-peu.

Notez que Dieu a fait la méme grace à plusieurs saintes Ames, de leur montrer la gloire du Paradis; comme à saint anuphe, sains Josaphat, sainte Christine l'admirable, sainte Catherine de Sienne, sainte Therese & à bien d'autres; aussi bien qu'à saint Paul, lorsqu'il fut ravy jusqu'au troisiéme Ciel, où il vit & entendit des choses que l'oeil n'a jamais veu, & qu'une langue humaine ne peut exprimer; bien que ce grand Saint ne sçeût pas, si ce transport jusqu'au troisiéme Ciel s'étoit fait en corps ou en ame. Sive in corpore, sive extra corpus, nescio, Deus scit.