Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

VI-5. Témoignages de sainteté

CHAPITRE V
TÉMOIGNAGES DE LA SAINTETÉ DE SA MORT, & DE SA GRANDE VERTU

Le Pere Chastelain Iesuite écrit fort au long de cette mort à la Reverende Mere Fondatrice & Superieure des Hospitalieres de Bayeux. Ie n'en mettray icy qu'un abregé.

Touchant la mart, di-il, de nôtre tres-chere et tres-unique fille Marie Catherine de saint Augustin, je vous diray ici de la part de Dieu, ce que le Prophete eut charge de dire au Juste, que tout va bien. dicite justo, quoniam bene. Tout a bien esté en la vie de cette ame juste, dont je vous parle: tout a encore mieux esté au moment de sa mort: tout ira tres-bien pour elle à toute eternité. J'espere que sa derniere maladie, quoy qu'elle n'ait duré que dix-huit jours, sera suffisante toute seule, non seulement pour luy servir de pourgatoire, au regard de toute sa vie passée; mais aussi de luy valoir plus de dix-huit and de vie, qu'elle eût pû esperer pour le futur, dans le cours ordinaire; tant elle a esté épurée, & éprouvée en son corps & en son esprit, ayant tout souffert saintement, dans un exercice continuel de patience & de penitence. La maladie dont elle est morte, a eeté, si je ne me trompe, inconnuë à nos Medecins, & connuë à celuy seul qui sçavoit ce qu'il devroit faire endurer à nôtre charitable victime, qui s'étoit sur la fin de ses jours, chargée des pechez de deux personnes d'importance, qui luy avoient été recommandées par son premier Superieur, Monseigneur nôtre Evéque: elle dit à une de ses cheres Soeurs qui l'assistoient en cette maladie derniere; je m'attens à tout, je ne seray point trompée si je meurs, ny aussi si le contraire arrive, me soûmettant à tout. Elle receut ses derniers Sacremens avec une presence d'esprit toute particuliere. Celuy qui luy donnoit l'Extréme-Onction s'arrétant quelque peu pour sçavoir son nom, elle luy suggera doucement Mariam Catharinam. A ce propos je vous diray que ce n'a pas été sans mystere qu'elle se nommoit Marie Catherine; dans Marie se trouve aimer; & dans Catherine se trouve charité : Si ces noms ne respiroient pas qu'amour, quel a été celuy de son coeur ? Mais tout cét amour s'employoit à la charité de Dieu & du prochain; cét amour n'avoit aucun objet ny prophane, ny indifferent: En un mot, la creature n'y avoit aucune part. Cette veritable Amante de JESUS-CHRIST mourut d'un doux sommeil, que je puis appeller extase d'Amour divin, à cause des grandes graces qu'elle y receut, comme elle a témoigné depuis sa mort.

Son méme Confesseur écrivant à un de ses amis en France, qui ne connoissoit pas moni que luy la deffunte; il faut avoüer, dit-il que sa maladie a été un exercice continuel de patience, accompagné d'un sentiment admirable de penitence qu'elle faisoit & que'elle offroit pour les pechez d'autrui. Quoy qu'elle fist selon sa coûtume, tous ses efforts pour ne faire rien paroître qu'à moi, de semblables pratiques: Toutefois quleques personnes s'en apperceurent assez. Elle me dit une fois, ne puis-je pas dire à sa divine Majesté comme Job, Mirabiliter me crucias. Mais pour lors les demons la tentoient épouventablement de desespoir, la divine Justice luy paroissant comme implacable, à cause des pechez d'autruy, avec les adorables abandons de JESUS-CHRIST, & elle disoit avec luy: « Mon Dieu, mon Dieu! pourquoy m'avez vous abandonnée ? »

La Reverande Mere Marie de saint Bonaventure de IESVS, sa Superieure en écrivit apres cette mort aux Hospitalieres de Bayeux, en ces termes.

De vous témoigner nos ressentimens sur une telle perte, c'est ce qui ne se peux; car nous avons perdu ce que nous ne recouvrerons jamais, le meilleuer & le plus aimable sujet qui se puisse jamais voir : Un naturel des mieux faits & le plus avantageux qui se puisse dire; une fille paisible, charitable & prudente autant qu'il se peut imaginer : d'une vertu asussi rare que la conduite de Dieu sur elle étoit extraordinaire : Nôtre douleur est si juste & si sensible, que nous n'en parlons & n'y pensons qu'avec larmes : Nous avons bien gravé dans nos coeurs les reliques de ses verus, & nous avons un precieux dépôt dans son aimable corps, aupres duquel nos charitables Soeurs se ne lassent point de faire leurs devotions. J'ay appris qu nôtre chere Mere de saint Sauveur est vôtre Superieure : Helas! j'esperois bien que son aimable Soeur nous tiendroit à la premiere élection la méme place; mais nous ne meritions pas un si grand bien, au moins moy qui la cherche souvent pour luy communiquer mes petites difficultez & mes pensées. Il m'est bien sensible de ne la plus trouver pour me consoler avec elle; car elle étoit tout mon recours & toute ma consolation. J'avois toûjours apprehendé cette perte, voyant que cette chere Soeur n'avoit point de santé. Car je ne croy pas que depuis vingt ans qu'elle est en ce païs, elle ait passé un mois ou méme une semaine, & je ne sçay si je ne pourrois pas dire un jour en santé; & de plus l'amour ardent qu'elle avoit pour Dieu, faisoit qu'elle se negligeoit fort. Il faloit avoir un soin particulier d'elle, ou elle eÙt succombé. Le temps qu'elle donnoit à l'Oraison, a bien abregé de sa vie.

Vingt-ans avant sa mort, lorsque'elle arriva de France en Canada, la méme Reverande Mere de saint Bonaventure qui étoit dés-lors Superieure, & qui la receut avec un coeur plein de charité, en écrivit encore à Bayeux en ces termes.

Vous nous avez donné en elle un Ange en douceur, insouciance et candeur; un Seraphin en amour, zele & ferveur; un vray miroir d'humilité & d'obeïssance: Bref, je pense que Dieu a mis en elle un tresor de graces & de benedictions celestes ; dautant que son corps, son ame & sa personne sont tellement composez, qu'il ne se voit en elle que du bien, sans aucune imperfection qui paroisse à nos yeux. Elle est tellement couce et charitable, que tout le monde en est charmé: Nous l'aimons toutes, & pour mon particulier, je sens en Dieu des tendresses pour elle, que je n'ay jamais ressenties pour personne. Il me sembloit autrefois que j'aimois personne; mais maintenant je ne le pourrois pas dire; & je ne desisteray jamais de l'aimer, non pas méme apres la mort; dautant que je l'aime pour Dieu, pour sa perfection & sa sainteté. J'espere que Nôtre Seigneur en fera quelque chose de grand, & pardessus le comun; puisqu'il la doüée de si rares qualitez: Elle a aussi un desir ardent de se faire une grande sainte; & ce n'est que pour cela qu'elle a tant desiré le Canada; ayant quitté pour cét effet toutes les douceurs que'elle possedoit si pleinement en France. Elle lit, écrit & chante à merveille: Elle est douce, prudente, charitable, humble, laborieuse, &c.

Notez que pour lors elle n'avoit encore que 16. ans; & ayant travaillé depuis 20. années sans intermission, pour se perfectionner dans les voyes de Dieu, ce n'est pas merveille que sur un riche fond de nature & de grace, Nôtre Seigneur en ait fait un ouvrage accompli, & un chef-d'oeuvre de sainteté.

Monseigneur l'Evéque de Petrée, que l'on peut dire veritablement avoir un coeur selon le coeur de Dieu, & étre un modele parfait des veritables Evéques, a toûjours eu tant d'estime, & si je l'ose dire, tant de veneration pour les graces que Nôtre Seigneur avoit versées si liberalement sur cette digne Religieuse, qu'il la consultoit tres-souvent, & recommandoit à ses prieres les affaires les plus importantes de son Diocese; admirant les lumieres & les connoissances que Dieu luy donnoit sur toutes choses, jusques dans l'interieur le plus caché des consciences, qu'elle penetroit comme si elle les eût veuës en plein jour; méme pour des personnes éloignées & qu'elle ne pouvoit ainsi connoître, sinon par des voyes toutes surnaturelles.

Voicy le commencement d'une Lettre que ce digne Prelat en écrivoit à la Reverande Mere Fondatrice & Superieure des Hospitalieres de Bayeux, le 8 Novembre 1667. six mois devant sa mort.

Ma Reverande Mere la fidelité de nôtre bonne fille la Soeur de saint Augustin, aux communications qu'elle reçoit de Nôtre Seigneur, m'oblige particulierement d'avoir une affection plus speciale pour son ame; car quoy que je sois bien infidele aux graces que je reçois de sas bonté infinie, cependant je reçois une consoltation singuliere de voir qu'il y ait des ames qui ayent pour luy un veritable & pur amour; afin de suppléer à mes infidelitez.

L'année precedente i len écrivoit en ces termes. Pour vôtre bonne Niepce de saint Augustin, elle continuë à son ordinaire dans la vertu, & Dieu se comporte envers elle en la façon accoûtumée. Elle est dans les souffrances continuelles, & nenamoins à la voir, l'on n'en auroit pas le moindre soupçon, tant elle souffre de bonne grace. J'espere que ce sera un jour un chef-d'oeuvre du saint Esprit; car en verité tout est extraordinaire en elle.

François Evéque de Petrée.

Voyez au commencement de ce Livre, dans l'article 7. des avis au Lecteur, la Lettre que ce digne Evéque luy écrivit apres la mort de cette vertueuse & sainte Religieuse, c'est un abregé de sa vie qui dit beaucoup en peu de lignes.

Monsieur de Lauzon de Charny son grand Vicaire & Superieur des Hospitalieres de Quebec, qui connoissoit aussi le fond de cette sainte ame, & qui sçavoit les voyes adminrables de Dieu sur elel, quoy qu'elle fussent tres-cachées & secretes, autant qu'elles étoient crucifiantes; ne les admiroit pas moin que Monseigneur de Petrée, Voicy une partie des Lettres qu'il en a écrit en diverses années, à la méme Reverande Mere Fondatrice des Hospitalieres de Bayeux.

Vôtre cher Niepce que j'aime & honore en Nôtre Seigneur, monte toûjours d'un méme pas à la perfection; & cette fermeté est un témoignage asseuré de l'esprit qui l'a conduit. Je prie Dieu qu'il acheve en elle son ouvrage. Il n'y a pas un mois qu'un Matelot Hugenot étant à l'extremité, nous étions elle & moy en peine pour son salut: Elle luy donna sur le soir de l'eau où on avoit trempé des Reliques du Pere de Brebeuf; ce pauvre garçon eut toutes les peines du monde à prendre ce breuvage, disant qu'on le vouloit empoisonner: Mais apres tout, le lendemain matin il se porta beaucoup mieux & demanda à se convertir: Et trois ou quatre jours apres, il fit abjuration de son heresie: Voilà un échantillon des ouvrages de nôtre chere fille; priez pour elle & pour moy : du 7 Octobre 1665.

Voicy une partie d'une autre de ses Lettres de 1664.

Je vous tiens heureuse d'avoir une telle Niepce que nous possedons icy. Vous en sçaurez davantage dans l'eternité. J'estime avoir receu une grace du Cieul toute particuliere, quand Dieu m'a donné sa connoissance. Vous me mandez qu'elle a confiance en moy; & je vous dis que je l'ay encore plus grande en elle, n'ayant rien dont je luy voulusse faire secret; car c'est un esprit bien fait, & qui selon la conduite que Dieu tient sur elle, est pour étre bien haut dans l'eternité.

Autre Lettre.

Pour vôtre chere Niepce, c'est toûjours la bien-aimée de Nôtre Seigneur; ce qui paroît par la part qu'il luy fait de ses souffrances; & par la force qu'il luy donne pou rles supporter avec courage. Tout ce que je puis dire, est que le doigt de Dieu est en elle.; & comme elle s'abandonne à luy, il faut que vous la luy abandonniez pareillement : ses voyes sont inscrutables.

Autre Lettre.

Vôtre Niepce s'avant toûjours à la perfection où Dieu la veux asseurément. Le chemin est rude, & on n'y monte pas sans peine. Ilest vray qu'il y a de tous côtez des precipices; amsis son obeïssance aveugle est un bon guide; sa patience, son humilité & sa charité, sont des signes qui nous prongnostiquent que son voyage sera heureux.

De Lauzon de Charny.

Le Reverand Pere François le Mercier Superieur des Missions de la Compagnie de JESUS en la Nouvelle France, en écrit à la méme personne en ces termes.

Vôtre chere Niepce est toûjours elle-méme, toûjours courageuse dans ses infirmitez corporelles, & toûjours resignée avec joye au bon plaisir de Dieu. Tout le monde avouë que c'est une fille bien prudente, bien charitable, bien obeïssante, tres-reguliere & tres-humble. J'admire pour moi l'églité de son esprit dans les diverses alterations de sa santé; & la force de son courage dans ses souffrances; elle a mis toutes ses delices & son contentement à la Croix de Nôtre Seigneur, bien resoluë de la porter jusques à la mort. Elle a une grande fidelité envers Deu; mais elle a besoin de soûtien & de consolation, dans la voye que Dieu tient sur elle. Les consolations de la terre ne luy sont rien; elle les rebute, bien éloignée de les chercher. Celle qui luy viennent de vôtre part luy sont procurées du Ciel. Elle les aime & les cherit en cette qualité, & elles luy profitent beaucoup. Le Reverand Pere Ragueneau qui est son Directeur, vous écrit amplement de totu ce qui la regarde.