Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

V-6. Élever une fille

CHAPITRE VI
La sainte Vierge lui confie le soin d'une jeune fille pour l'élever à la sainteté

Il est vray qu'il y a des ames pour lesquelles le Ciel a un amour particulier, & des privileges tout extraordinaires; & il n'est pas moins veritable qu'un des puissans moyens dont la divine Providence se sert pour la sanctification des ames de choix, est de les confier à des personnes saintes.

L'année 1657. le dernier jour d'une retraitte spirituelle que faisoît nôtre Catherine de saint Augustin, lorsqu'elle étoit devant le saint Sacrement la sainte Vierge luy apparut, tenant une petite fille âgée seulement de huit mois, dans son sein. Elle la donna à Catherine, luy recommandant cette enfant, & la commettant à ses soins: Elle étoit orpheline de mere & avoit nom Marie. La sainte Vierge avoit eu des protections particuliers, & des graces prevenantes & tout-à-fait aimables pour sa mere deffunte. Nous allos voir qu'elle n'en a pas moins eu pour cette fille de benediction qui fut mis par son pere, dont elle étoit l'unique, dans le Monstere des Hospitalieres de Quebec, à l'âge de six ans & demy; & par luy confiée à nôtre sainte Religieuse, dont il connoissoit le merite & la sainteté, & qui en eut soin jusqu'à sa mort.

Le 10. Juillet 1663. nôtre Catherine eut une promesse du Ciel, que cét enfant mourroit dans son innocence. Voicy ce qu'elle en écrivit. Aujourd'huy à la fin de la Messe apres la Communion du Prétre, je me suis sentie poussée fortement à demander à Dieu qu'il conservât nôtre petite Marie dans son innocence; & que plûtôt elle mourrût que de commettre un seul peché qui la privât de la grace; méme de l'exempter de tout peché veniel considerable. Je sentois un desir si ardent de la voir mourir hors de tout peché, que je ne pouvois m'empécher de le demander à Dieu, & d'en prier la sainVerge, saint Joseph, son bon Ange, la bienheureux Loüis de Gonzague & le Pere de Brebeuf: Je me servois des motifs les plus puissans pour les obliger de m'accorder pour cette fille, ou la mort, ou l'asseurrance qu'elle persevereroit dans la grace. Je disois au bienheureux Loüis de Gonzague qu'il étoit chargé d'elle; je le priois de la garer si bien, que jamais le peché n'entrât dans son coeur. Il n'y eut sorte de supplication dont je ne me servisse pour ce sujet; & il m'a semblé que mon importunité fut cause que le bienheureux Loüis de Gonzague m'asseura que je ne craignisse point, & qu'elle persevereroit dans son innocence, toute sa vie. Cette asseurance m'a si fort comblée de joye, que j'aurois volontiers consacré le reste de ma vie à baiser les pas de cette ame innocente, que je n'envisage qu'avec respect.

Le 28. Août 1663. ayant prié Dieu selon l'intetion du pere de nôtre petite Marie qui luy offroit sa fille, & s'y offroit luy-méme, je sentis qu'il obtiendroit ce qu'il demandoit en la façon qu'il seroit le plus à la gloire de Dieu; & que méme quand il ne voudroit pas, Dieu l'obligeroit de faire ce qui seroit necessaire pour ce sujet. C'étoit, ce me semble, saint Augustin & le Pere de Brebeuf qui me donnoient cette asseurance: Le pere de la fille s'étoit adressé au Saint, pour obtenir cette grace Dieu. Le Pere la presenta au Saint, lequel l'accepta, & promit de la tenir desormais & reconnoître pour sienne. Il me semble que de tout ce que j'ay dit cy-dessus, j'en ay eu une asseurance toute particuliere, & qui ne m'a laissé aucun doute, au moins selon mon idée.

Le 31. May 1664. veille de la Pentecôte, je fus poussée d'offrir la Messe que le Prétre disoit à mon intention, & ma Communion pour nôtre petite Marie. C'étoit Nôtre-Dame qui m'obligea, ainsi qu'il me sembla; de demander que le coeur innocent de cette petite fût préparé pour recevoir avec abondance le saint Esprit, le Mardy suivant, jour auquel elle devoit étre confirmée. Il me sembla aussi que le Pere de Brebeuf me fit communier le Lundy de sa propre main, & que la sainte Vierge m'ordonna d'avoir grand soin de cette enfant.

Le jour qu'elle fut confirmée, le matin environ les deux heures & un quart, lorsque je priois pour elle, il me sembla que je la voyois devant moy, & qu'à méme temps je sentois la presence de la sainte Vierge, de saint Joseph & du bienheureux Loüis de Gonzague, du Pere de Brebeuf, de son Ange-Gardien, & de celuy de Monsieur son pere; & qu'elle étoit comme entourée de cette troupe bienheureuse: & il me sembloit voir tomber sur elle une petite pluye qui la penetroit toute. Cette pluye me sembloit étre des graces & des benedictions qui tomboient sur cette enfant: cela venoit avec douceur, mais neanmoinss fort abondamment. Je ne voyois point qui luy procuroit cette faveur. Cette veuë se dissipa; apres laquelle je sentis mon coeur proté à redoubler tous mes desirs pour le bien de cette ame innocente, & à remercier Nôtre Seigneur, la Vierge & ses Protecteurs, des graces & faveurs dont ils usoient déja envers elle. Avant que la chose se passât, il me sembla que les Anges, les bienheureux Loüis & le Pere de Brebeuf l'offroient à Nôtre-Dame & à saint Joseph, & qu'ils l'accepterent comme une chose qui leur appartiendroit d'oresnavant d'une façon speciale. Le Pere de Brebeuf voulut méme que je joignisse à cette offrande.

Au moment qu'elle fut confirmée, quoy que je fusse absente du Choeur (car la Confirmation se donnoit dans nôtre Eglise) il me sembla voir comme le renouvellement de cette pluye mysterieuse tomber sur elle avec plus d'abondance; & je me persuadois que je voyois le Ciel ouvert audessus d'elle, & la sainte Vierge & saint Joseph au droit de cette ouverture, lesquels versoient sur elle cette rosée, & donnoient au saint Esprit une pleine possession de cette ame innocente.

Tout le jour à diverses fois, je sentois la reïteration de ces choses; mais il s'éleva aussi en moy à méme temps une si furieuse tempête de la part des démons, qu'apres les sentimens que Dieu abolument m'ordonnoit d'avoir pour cette enfant, je faisois opposition à tous ces bons desseins. J'avois en méme temps come deux volontez, & des desirs bien contraires; & il me sembloit que le plus fort étoit ce que j'éprouvois le plus sensible. J'ay reconnu depuis neanmoins, que c'étoit le moins sensible qui avoit été le plus fort, & avoit eu le dessus.

Le 15. Août de la méme année 1664. jour de l'Assomption, la petite Marie fit sa premiere communion, quoy qu'âgée seulement de huit à neuf ans. Voicy ce qu'en écrivit la bonne Maîtresse & Gardienne; qui luy avoit été donnée comme son Ange visible. Aujourd'huy à la premiere communion de nôtre petite Marie, il m'a semblé que la sainte Vierge, saint Joseph, quelques Anges, le bienheureux Loüis de Gonzague, le Pere de Brebeuf, nôtre deffunte Soeur de saint Ignace sa tante, & Madame de Charny sa deffunte mere, y ont été presens; & que non seulement tous ces Saints se réjoüissoient pour cette premiere communion; mais méme il m'a semblé qu'il se faisoit une fête particuliere au Ciel, à raison de la joye que Dieu a répanduë dans ce coeur innocent. J'ay conceu que de longtemps il n'y avoit eu de communion si agreable à Nôtre Seigneur. Le Pere de Brebeuf m'a invitée à prendre ma part de cette joye; & quoy je me suis accordée fort facilement: sur-tout ayant commune une asseurance certaine que jamais cette petite innocente ne perdroit la grace, qui luy étoit comme confirmée par cette premiere communion.

Dieu veüille que cette enfant de benediction remplisse les esperances que le Cieul nous a données des desseins qu'il avoit sur elle, & qu'elle n'y mette point d'obstacle. Car son heureuse Maîtresse & Directrice, nôtre Catherine de saint Augustin, disoit tres-prudemment & tres-saintement, que la plus-part des revelations qui certainement viennent de Dieu, étoient conditionnées, & non pas absoluës; c'est à dire, qu'elle devoient s'entendre, supposé que la part de la creature il n'y ait point d'opposition ny de resistance aux volontez de Dieu qui nous sont déclarées: car de méme, disoit-elle, que quoy que le Prophete Jonas dit aux Ninivites de la part de Dieu, que dans quarente jours leur Ville seroit & desolée & renversée: Toutefois la penitence que firent devant Dieu les habitans de cette Ville pour appaiser son courroux, & pour détourner la juste punitition qui étoit deuë à leur pechez; en effet, arréta cette puinition, & fit changer à Dieu sa Sentence de condamnation, à cause qu'ils avoient changé de vie, & qu'ils s'étoient bien convertis: De méme aussi (ajoûtoit-elle) quoy que Dieu ait promis à qui que ce soit, & le don de perseverance, & la gloire du Paradis: Toutefois cela se doit entendre, pourveu que la creature par un mauvais usage de sa liberté que Dieu luy laisse, ne fasse point changer les volontez de Dieu, par un malheureux changement de vie, qui peut se rendre criminelle, quoy que par le passé elle ait été toûjours tres-innocente.