Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-11. Prier pour une vocation

CHAPITRE XI
Elle s'offre pour une personne appellée de Dieu à la Religion, qui fut infidelle à sa vocation.

Non seulement cette bonne ame penetroit souvent les coeurs de ceux qui luy parloient, méme des absens; mais souvent elle penetroit dans l'avenir les choses les plus éloignées qui ne pouvoient étre prévuës que de Dieu seul, & dont l'issuë a fait paroître la verité de ses connoissances.

J'eus par diverses fois, dit-elle, citant le jour du moi & l'année, une forte impression de prier de Dieu pour une telle personne. La premiere fois il me sembla que c'étoit son Ange-Gardien qui me prioit d'en prendre soin. Les autresfois le Pere de Brebeuf se mettoit de la partie, & ils me firent voir un état déplorable où cette personne tomberoit indubitablement, si elle renoit le parti du monde, étant appellée à la vie religieuse. Je voyois cela comme une chose presente, & quoy que d'un côté touttesfois les démons m'ôterent l'envie que j'avois de prier Dieu pour elle, & me firent plusieurs fois des reproches de la trop grande facilité que j'avois à croire les veuës de mon imagination. Veux tu penetrer dans les secrets de Dieu, me disoient-ils? qui sçait, si ce n'est luy, ce qui est futur? y a-t-il de la charité dans l'entretien de ces pensées? Pourquoy regarder comme coupable une personne innocente? Et disoient ainsi diverses paroles de cette nature; qui bien loin de causer en moy aucune bonne impression pour elle, au contraire faisoient que je sentois à son égard beaucoup de rebut, & une espece d'éloignement, méme à y penser.

Le 14. May Dieu m'ayant fait connoître ses graces immenses sur moy, & mes ingratitudes épouventables; m'étant adressée au Pere de Brébeuf, afin qu'il m'enseignât le moyen de reparer mes ingratitudes envers le saint Esprit, il me fit entendre que ce seroit de luy procurer des épouses: Je promis sans aucune peine de m'y employer de tout mon pouvoir; & m'adressant au saint Esprit je luy en nommay une; le priant qu'il luy plût en cela aggréer mon desir. Il sembla qu'il en étoit content; mais à condition que je portasse sur moy, & que je me chargeasse de ce dont elle devoit étre accablée si elle en étoit atteinte. Ne sçachant pas ce que cela vouloit signifier, je le suppliay de me le vouloir donner à connoître: Alors il me sembal qu'il donnoit commission au Pere de Brebeuf de m'en informer. Le Pere me dît que pour en faire une épouse, ce n'avoit pas été le dessein du saint Esprit, & qu'elle s'en devoit rendre indigne. Je dis au Pere que le saint Esprit avoit assez de pouvoir our ôter toutes les oppositions qui se trouvoient presentes & futures en elle; & que je le priois de laire. Le Pere me répondit que la grace ne luy manqueroit pas, mais que la nature & la cupidité auroient l'avantage audessus de la grace; qu'elle se rendroit aux premieres attaques du peché; & que'elle en seroit terrassée dés le commencement. Mais quoy, disois-je au Pere, n'y a-t'il pas moyen, ou qu'on luy ôte ces grands obstacles, ou qu'on redouble la grace pour la fortifier dans les occasions? Il me fit entendre que la Justice de Dieu en avoit disposé autrement, pour de tres-justes raisons qu'il apporta. J'insistay; je priay donc le Pere de trouver un autre moyen, parce que je ne pouvois desister du desir de donner en cette personne une épouse au saint Esprit. Je luy disois tout ce que mon esprit animé du desir du salut de cette ame, étoit capable de concevoir. Je fus environ un demy quart-d'heure sans sentir de réponses du saint Esprit, ce qui redoubloit tout ensemble & ma crainte & ma peine. Enfin apres quelque temps, il me semba que le saint Esprit me disoit interieurement qu'il étoit à propos que cette personne ressentît la rebellion de la chair, & les suites que cause le peché; que neanmoins si je voulois me donner & m'abandonner pour elle, il luy donneroit des graces plus abondantes. Je restay comme interdite, ayant une peine extréme à me resoudre à cette offrande. Je doutay si ce ne seroit pas un piege que le démon m'auroit tendu. Le Pere de Brebeuf m'asseura que non, & que ce seroit mon Confesseur qui me détermineroit là dessus. Je restay depuis ce temps-là comme en une espece d'agonie; & tout ce que je pû faire, fut de dire comme Nôtre Seigneur au Jardin des Olives, chageant le mot de Pere à celuy d'Esprit Saint: Esprit d'amour, que ce calice passe de moy! toutefois vôtre volonté soit faite, & non pas la mienne.

Le 15. May, mon Confesseur m'étant venu parler, aprés que je luy eû rendu compte de tout; il m'obligea de m'offrir à la divine Justice, pour la personne susdite, & m'abandonna luy-méme, selon qu'il en devoit déterminer. Sortant d'avec luy, j'allay dans nôtre Choeur devant le saint Sacrement, suivant l'ordre qu'il m'en avoit donné; & luy dans l'Église, pour dire le mot; & au moment que j'eus acquiescé, la tentation de l'impureté me revint fortement comme auparavant; excepté que ce ne fut purement que la nature qui agissoit; les demons n'y ayant autre part, & n'y cooperans qu'à la façon qu'ils font aux grandes tentations, n'agissans qu'interieurement & imperceptiblement.

Le 19. May, elle dit à son Confesseur, que nonobstant ce redoublement d'épreuve, elle demeuroit si une à Nôtre Seigneur, qu'elle sembloit ne faire plus qu'une chose avec luy, & étre tout transformée en luy.

Le 16. May, recitant Matines avec la Communauté, il me semble que lors que les Leçons commencerent, je sentis proche de moy Nôtre-Dame; je sentis aussi la présence du Pere de Brebeuf. J'étois encore beaucoup touchée de la veuë de mes ingratitudes; & il me semble que craignant que ce ne fût un sujet de distractions, j'en fis une petite plainte à la sainte Vierge. Elle r'assûra mon esprit sur ce point, & me dit: Que seroit-ce, si tu découvrirois non seulement toutes tes ingratitudes en general, & plusieurs en particulier, mais aussi celles des autres? Et non seulement cettes que tua s commis contre le saint Esprit, mais aussi celles que tu as commis envers mon Fils & moy? Au méme moement, j'en eus une veuë si épouventable, que je me ressentis comme renversée d'un coup de tonnerre; & il me semble que sans un petit coup de faveur, que je sentis qu'elle me donnoit sur l'épaule droite, j'étois écrazée. Elle me fit entendre que je ne devois faire nullement état que ce qui me restoit de vie deût que je n'eusse plus desormais aucune veuë pour moy. Je conceus qu'elle auroit la bonté de prendre soin de moy. elle me dît, que son dessein lors qu'elle me redonna la vie, avoit été afin que je l'employasse entierement pour le salut du prochain. Elle m'ordonna de prendre un soin particulier de nos enfans, & de veiller à ce que l'Esprit du siecle ne prenne pas l'empire dans leurs coeurs. Cette veuë derniere de mes infidelitez, avec ce qui a precedé, à causé un tel ravage en moy, à l'égard du corps, que je me sens comme si j'avois été brisée en deux meules; & je n'agis que par la force que l'on me donne.

Le 14. Decemebre, étant au Choeur à sept heures du soir, priant la sainte Vierge pour la méme personne, je vis proche d'elle plus d'une douzaine de demons, qui étoient prêts de luy livrer un fâcheur combat. Ils se réjoüissoient fort dans l'attente qu'ils avoient d'executer leur mauvais dessein, rendant cette persone obeïssante à leur volonté. J'eus une veuë si claire du malheur où elle alloit tomber, que mon coeur en fut touché de compassion; & je sentois un desir de pouvroi délivrer de ce mal. Son Ange Gardien m'y invitoit, & le Pere de Brebeuf; mais je sentois un étrange combat, ayant peine de m'offri pour elle, dans la crainte qu'on ne me prist au mot, comme il m'étoit déja arrivé à son occasion. Je priay Nôtre Seigneur de susprendre un peu, & de ne pas permettre que les demons executassent leurs mauvais desseins. Le Pere de Brebeuf me pressoit fort à m'offrir pour elle; & comme je luy representay à plusieurs fois ma crainte, il me promit qu'il m'ayderoit, & me conduiroit comme par la main; Cette asseurance qu'il me donna de sa protection me fit consentir à me soûmettre à tout ce que Dieu voudroit; à condition qu'on attendît que j'eusse demandé conseil. Je me sentis portée à communier le lendemain, & ayant dit ma disposition à mon Confesseur, il m'ordonna de m'offrir en general à Nôtre Seigneur, au temps de la sainte Communion, qu'il agist en moy selon sa volonté, ainsi qu'un Maître absolu. Je fis ce que l'on m'avoit dit; & apres la sainte Communion je sentis entrer en les démons qui commencerent dés ce moment à me faire ressentir leurs operations; sur-tout deux qui étoient destinez à luy endurcir le coeur. La plus-part sont pour l'impureté; quelques-uns pour l'inconstance dans sa vocation; & le dégoût des choses spirituelles. Ces démons n'avoient point d'envir de venir avec mes hôtes; ils me taxerent de beaucoup de superbe, de vouloir m'offrir comme si j'eusse eu plus de force à resister qu'elle n'en avoit. Ils me dirent qu'elle étoit plus innocente que moy, & plus agreable à Dieu; & par consequent plus propre à attirer sa protection sur elle que moy. Que je ne devois rien esperer dans la disposition où j'étois. Quoy que leur discours me parût étre vray, je ne desistay pas d'avoir de la pente à m'offrir & à obeïr au Pere de Brebeuf, qui voulut que je me presentasse absolument. Depuis le soir jusques au lendemain apres la sainte Messe, je sentis toûjours ces démons proches de moy.