Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-8. Elle voit une croix

CHAPITRE VIII
Elle voit une croix mysterieuse qui l'anime encore aux souffrances, & les Saints du Paradis s'interesent pour faire rendtrer les démons chez elle.

La nuit du second jour de May 1667. étant endormie, dit-elle, je vis en songe une grande croix qui avoit comme les arbres, des racines fort profondes; & des bras sortoient plusieurs branches, qui me sembloient embrasser tout le monde. Elle s'élevoit jusqu'au Ciel; elle me parut d'une matiere fort belle & pretieuse; amis ele étoit toute salie, comme seroit une robe d'une pretieuse étoffe, qui sroit couverte de bouë & d'ordure; ses branches étoient en divers endroits toutes séches, & méme plusiers me paroissoient comme coupées. Je sentis un grand desir de remettre cette crois dans son premier lustre; car dans mon rêve je disois à part moy, cette croix asseurément n'est autre que la crois de Nôtre Seigneur, il faut que je la nettoye, s'il m'est possible. Je m'approchay donc avec respect, dans le desir d'ôter cette bouë qui couvroit ainsi cette croix. Je dis en moy-méme, si je puis en nettoyer un petit morceau, je prenday courage & je monteray par tout. Comme je e mettois en devoir de commencer, j'apperçu Nôtre-Dame, laquelle m'ayant regardé en soûriant, me dit: « Ma pauvre fille ! entreprends une chose de laquelle tu ne viendras pas à bout; mon Fils seul peut te le faire faire. » Je me retiray avec regret de ne pouvoir venir à bout de mon dessein; & je priay la sainte Vierge de me pardonner si j'avois été trop temeraire. La peine que je ressentis, voyant que je ne pouvois pas nettoyer cette croix, me réveilla, & pour lors je me trouvay sans croix & sans autre chose.

A minuit, je fis mon Oraison avec beaucoup de paix: Je passay le reste de la nuit dans de continuelles offrandes de moy-méme à la divine Majesté. Je priay fort instamment la sainte Vierge, mon Ange & mes Patrons, de me donner à Nôtre Seigneur pour faire & souffrir tout ce qu'il luy plairoit. Je m'offris souvent à la coirs, & luy fis toutes les caresses dont mon pauvre coeur est capable. Il me sembla qu'il n'étoit pas juste, qu'étant née le jour de la sainte Croix, je vive et meure autrement que crucifiée; j'en ressentis de tres-grands & puissans desirs, jusqu'au commencement de la Messe du Reverend Pere Châtelain, que me trouvant tout d'un coup investie d'une grande troupe de démons, je commençay à apprehender; car je sentois qu'ils étoient là avec beaucoup d'empressement à qui entreroit des premiers; & plus la Messe s'avançoit, plus ma peine redoubloit. Je ne laissay pas neanmoins de m'offrir, & de me joindre aux sentimens du Pere qui celebroit.

Le 3. May 1667. j'eus une veuë & un sentiment fort pressant de la presence de JESUS-CHRIST, de la sainte Vierge, de saint Joseph, saint Pierre, saint Simon Apôtre, saint Augustin, saint Policarpe, des saintes Catherines Martyre, & de Sienne & de Gennes, de mes saints Anges, du Pere de Brebeuf & de la soeur Marie de Coutance, & de plusieurs autres desquels je n'ay eu aucune connoissance distincte. Ces premiers que je connoissois, m'offroient sans cesse à Nôtre Seigneur, quelquefois à Nôtre-Dame; & il me semble qu'ils pretendoient disposer de moy, comme de leur bien propre. Chacun plaidoit pour me renvoyer les démons, comme s'ils avoient voulu obtenir grace à diverses sortes de pecheurs; ils m'offroient à Dieu pour souffrir, afin d'impetrer la conversion de ces ames; il m'encourageoient à donner mon consentement, & à me joindre à leur dessein, m'asseurant u'ils auroient soin de moy. Tout cela ne me satisfaisoit point du tout; j'y acquiesçay toutefois le mieux qui me fut possible, à condition que les démons ne rentreroient point du tout, que je n'eusse demandé l'agrément à mon Confesseur. Et lorsque je fus communier à la Messe, apprehendant qu'au moment que je recevrois Nôtre Seigneur cette troupe infernale que je sentois au tour de moy, ne rentrât en méme temps, je dis absolumenet que je ne consentois point à cela, jusqu'à tant que j'en eusse obtenu le congé, ce qui me fut accordé; car les démons ne rentrerent que le soir apres six heures & un quart. J'étois devant le Saint Sacrement, comme une personne préte de recevoir la condamnation d'un supplice tres-rigoureux. Lors qu'ils rentrerent, ils firent un horrible tintamarre, & me firent en méme temps ressentir quelles peuvent étre leurs operations, quand Dieu leur lâche la bride: Il me sembloit qu'ils étoient quatre legions.

Alors les Saints se diviserent par bandes, saint Joseph, saint Pierre, saint Simon & saint Augustin vouloient que j'eusse trois ans de mes souffrances, pour les Prétres & les personnes consacrées à Dieu. Sainte Catherine Martyre, le dernier des Anges qui m'a été donné, & la Soeur Marie de Coutance demandoient trois ans pour les Sorciers, Magiciens & Athées: Saint Policarpe, l'Ange-Gardien, sainte Catherine de Sienne & le Pere de Brebeuf trois ans pour les voluptueux, impudiques, ivrongnes, & autre sorte sensuels. Puis tout d'un coup ils demanderent encore trois pour ans pour les superbes & personnes sans charité. La sainte Vierge me sembla fort aggréer cela; mais Nôtre Seigneur témoignoit comme avoir peine à me renvoyer les démons, disant que c'étoit luy qui les avoit chassé; & de là je connus qu'il me laissoit libre de choisir quel état je voudrois, ne voulant en rien du tout me contraindre: Cette bonté de Nôtre Seigneur me gagnoit entierement, & me porta à m'abandonner absolument à tout ce qui luy seroit le plus agréable. Je me sentois fort solicitée à cét abandon par cette compagnie que je sentois proche de moy. Mais la nature combatoit d'autre part qu'elle pouvoit , pour éviter le mal qu'elle sentoit present & pressent.

Des Saint & Saintes donct j'avois connoissance, il n'y eut que sainte Catherine de Gennes qui ne demanda rien; elle étoit là dans un profond recueillement, & comme témoin avec les autres de ce qui se passoit. Cela dura pendant toute la Messe.

Notez qu'une circonstance tres-considerable en ce rencontre est, que la mere Catherine de saint Augustin n'ayant ce jour-là pû parler de tout ce que dessus à son Confesseur, qu'environ sur les cinq heures & demie du soir, qu'elle n'eût que le loisir de luy dire ces paroles: Enfin, mon Pere, tout dépend de vous; c'est à vous d'examiner si je retourneray en mon premier état, ou non, n'ayant pas le temps de s'expliquer davantage: à cause qu'elle s'en alloit lire au Refectoire. Son Confesseur jugeant à propos de remttre au lendemain la détermination du tout, afin d'examiner plus soigneusement cette affaire, & de la recommander à Dieu, comme étoit de tres-grande consequence; il dît à cette bonne Religieuse. « Ce sera pour demain, ma fille, que nous examinerons tout cela. » Neanmoins le Confesseur s'en retournant, il luy vint une fort pensée que Nôtre Seigneuer avoit peut-étre choisi ce jour-là, qui étoit la fête de l'Invention saint Croix, troisiéme jour de May, & le jour de la naissance de la Mere de saint Augustin, pour luy faire retrouver sa croix, se ressouvenant bien qu'elle avoit été délivrée de ses hôtes le jour du Vendredy Saint, jours de la Passion de JESUS-CHRIST. Quoy que c'en soit le méme Confesseur arpes avoir recherché en vain un homme de Dieu, qu'il consultaoit suvaent pour luy demander conseil là dessus, il s'en alla davant le saint Sacrement; & là en méme temps qu'elle marque cy-dessu, à six heures & un quart, il la presenta à Nôtre Seigneur, & il l'abandonna à ce que ce cher Maître jugeroit le plus pour sa gloire & son divin palisir, s'y abandonnant soy-méme. Ce fut en ce méme moment que les démons rentrerent en elle, qui en fut grandement surprise, n'y ayant point donné son consentement, & s'étant separée de son Confesseur dans le dessin qu'ils en remettroient la resolution au lendemain matin; auquel temps son Confesseur ayant été la voir, & luy ayant dit
« Ma fille, je viens icy pour la decision de l'affaire que vous me proposâtes hier soir:
- Il est trop tard (mon cher Pere, luy repliqua-t'elle) car c'est une affaire faite dés hier au soir, que tous mes anciens hôtes rentrernt en moy.
- A quelle heure, ma fille?
- À six heures un quart (répondit-elle) sans toutefois que j'y eusse donné mon consentement. »
Alors son Confesseur luy raconta comme il y avoit consenty luy méme pour elle, sçachant bien sa disposition; quoy qu'il ne s'attendoit pas que l'exécution en eût été si prompte, ny faite à l'heure méme.

Notez de plus que les douze années ont été changées en douze mois, car elle mourut douze mois apres cette vision. Aussi JESUS-CHRIST ne dit rien touchant cette circonstance que ces Saints renfermoient dans leurs demandes, & les Saints ne sçavent par l'heure de la mort des hommes.