Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

IV-2. Le jugement d'une âme

CHAPITRE II
Elle voit le jugement d'un homme qui mouroit; & JÉSUS-CHRIST Souffrant pour les pechez de quelques-uns

Elle marque le jour et l'heure, et en écrit en ces termes.

On me fit voir N. qui epiroit. Il me semble que la mort vint à luy, sans qu'il pensât. Au méme moement que son ame fut separé du corps, elle se trouva presente au jugement de Dieu : Elle n'y avoit pour elle que son Ange-Gardien, lequel quoy qu'il parût content, avoit neanmoins une certaine tristesse, de ce que cette ame n'avoit pas correspondu à ses desseins; ny écouté ses avertissements: Une troupe de démons s'y trouverent aussi, & comme des bêtes farouches sembloient vouloir devorer cette pauvre ame, laquelle étoit dans un étrange confusion, se sentant redevable à la justice de Dieu, de la peine deuë à un nombre horrible de pechez, dont plusieurs étoient mortels, desquels il ne s'étoit pas confessé par negligence: & d'ailleurs la grande Majesté de son Juge; & sa grande sainteté faisoient d'elle-méme se condamner à des suplices éternels. Les démons commencerent les premiers à parler & representerent un si grand nombre de pechez, que je tremblois de peur, & j'avois une si grand horreur de ce que je voyois, que j'eusse été heureuse de me pouvoir mettre au centre de la terre, pour ne le pas voir. Apres que les démons eurent bien harangué, san étre interrompus de l'Ange, il commença à deduire les bien qu'avoit fait cette pauvre ame qui étoit si peu considerable en comparaison de ses pechez, qu'il y avoit un grand sujet de craindre que les démons de gagnassent leur cause. Cela donnoit une compassion tres-grande, & je sentois un ardent desir que Dieu luy fist misericorde: J'attendois avec une certaine impatience l'évenement de tout. Enfin la sainte Vierge sembla intervenir dans cette cause; elle representa à Nôtre Seigneur, que depuis six ans cette ame l'avoit particulierement honorée, ajoûtant qu'elle avoit contribué au salut de quelques Sauvages. Le Juge prononça un arrêt favorable, & envoya l'ame au Purgatoire, laquelle au méme temps s'y porta elle-méme d'une vitesse incroyable. Son Age la suivit. Les démons enrageoient de dépit de ce que cette ame leur avoit été ravie. Cela se representa à mon esprit comme si ayant veu expirer ce pauvre moribond, j'avois vue son ame sortir de son corps, ainsi qu'un petit souffle; & cette ame me paroissoit comme un corps tout nud, mais dont la nudité ne causoit aucune mauvaise pensée: je ne distinguois rien en particulier, mais seulement cette nudité me penetrer combien devant Dieu nous sommes pauvres, & depouillez de tout. Or cette nudité de corps étant une representation de celle de l'ame, cela donne une peine qui ne peut étre conceuë. La confusion d'une personne tres-chaste auroit, d'étre exposée nuë aux yeux de tout le monde, n'est pas seulement un grossier crayon de la confusion que ressent une ame, qui se voit soüillée de crimes en la presence de son Dieu: Elle méme se condamne aux supplices, & c'est un tourment pour elle au delà de tout ce que l'on peut penser, que ce rester un moment devant ce Juge tres-exact & tres-Saint. Lorsque je vis cette ame descenduë dans le Purgatoire, il me sembla que la sainte vierge & le bon Ange me jetterent un regard pour me dire, Aidez cette pauvre ame, elle a beaucoup à payer. La longueur de sa maladie luy avoit été fort favorable, parce que pendant icelle, outre qu'elle avoit souffert en patience son mal, il avoit eu soin d'offrir à Dieu ses actions, ce que pendant la santé il n'avoit que fort peu fait : De sorte que quoy qu'il eût soint de frequenter les Sacrements & de faire de bonnes actions; cela ayant été fait sans esprit intérieur, ne luy avoit pas beaucoup servy. Il étoit merveilleusement chargé, à raison du mauvais exemple qu'il avoit donné à ses enfans, par des paroles trop libres dites devant eux, des actions peu seantes par l'excez de boire; & pour avoir souffert, & comme approuvé le méme en eux. On luy objecta que sa vie avoit tenu de la bête, & non du Chrétien. On luy signifioit en quoy, luy marquant méme les lieux & les occasions. On luy reprochoit méme le mauvais exemple donné à ses serviteurs, la trop grande condescendance qu'iol avoit euë pour sa femme, les dépenses inutiles, où le bien d'autruy étoit pris & beaucoup d'autre choses. Si on sçavoit l'exactitude extréme avec laquelle nos pensées, parole & actions sont pesées & examinées à ce Tribunal, on y prendroit garde; & ce nous que jugeons n'étre rien nous feroit peur. L'Ange a voulu que j'écrivisse cecy, sans que j'aye pû m'en dispenser. Nôtre Seigneur pendant ce jugement étoit assis comme dans l'air, ou sur une nuée.

Cette bonne fille ne tarda pas à souffrir divers maux pour cette ame, afin de diminuer ses peines, & la longeur du Purgatoire.

Il est à remarquer qu'elle dit que cette ame separée de son corps se sentoit soüillée d'un nombre horrible de pechez, dont plusieurs étoient mortels; cela ne se doit pas entendre, comme si effectivement la tache du peché mortel eût encore été dans cette ame, que les Theologiens appellent Ratus culpae; car sans doute elle vaoit été effacée par l'infusion de la grace habituelle et justifiante; mais c'est que cette ame n'ayant pas satisfait pour l'obligation de la peine qui restoit à payer, que les Theologiens appellent Reatus poenoe, & qui est un effet & une suite du peché; dans cét effet on y connoît sa cause; & Dieu le permettant ainsi, l'ame s'en voit comme soüillée, & elle en rete encore en qulque façon criminelle. Outre qu'il est ainsé que Dieu permettant que l'ame ne se ressouvenant que des pechez que'lle a commis, & ne se ressouvenenant pas ny de sa contrition ny des sacrements qu'elle a reçu, se juge criminelle & se condamne soy méme, se jugeant digne de la peine deuë à ses pechez. Ainsi que les Histoires nous apprennent qu'il est arrivé à diverses personnes, soit au temps de leur mort, soit lors qu'elles ont été présentées au Trône de Dieu pour y étre jugées, soit méme dans le Purgatoire, ou quelquefois Dieu permet que de pauvres Ames se croyent quasi damnées, & l'objet de la colere éternelle de Dieu.

Un jour elle étoit comme accablée de tentations, & que les démons imprimoient en elle toute la malignité de tous les sentimens, & de la haine & de la revolte qu'ils ont contre Dieu; sur les neuf heures du matin étant obligée de passer dans le Choeur, les démons luy donnoient une pensée d'impiété, de ne pas salüer le tres-saint Sacrement; mais elle se sentit obligée par une force interieure d'arréter un peu, & de faire une genuflexion.

Je me fis un effort pour obeïr, dit-elle, à ce que je crûs pour lors que Dieu demandoit de moy; mais me relevant pour sortir du Choeur, je senty en moy un soudain changement, qui fut fait presque en un moment. Je vis & j'entendis ce qui suit: Ce fut dans l'imagination que ce la se passe. JESUS-CHRIST me fut representé comme tout fraîchement flagellé, tout couvert de sang, & à l'endroit du coeur je vis que les coups avoient penetré jusqu'au fond de sa poitrine: Mon coeur fut tellement touché à la veuë de cét objet, que je pensay pâmer sur la place. La haine que les démons m'inspiroient auparavant contre Dieu se changea en un amour si fort & si tendre, que j'étois entirement transformée. Or comme j'avois l'idée de ma disposition passée, je n'eus aps de peine à convaincre mon esprit; que c'étoit moy qui avois mis Nôtre Seigneur dans un si pitoyable état, & cela redoubloit ma douleur au dernier point. Mais j'entendis une réponse de Nôtre Seigneur que je n'attendois pas pour lors. Il me dit que ce n'étoit pas moy, mais bien ses plus chers amis, & les plus proches de son coeur qui l'avoient mis en cét étatn. Je conçus par là que Nôtre Seigneur avoir le coeur touché, de ce que ceux qui étoient ses plus intimes amis, le reduisoient en cette extrémité, & j'aurois desiré apporter du soulagement à ses douleurs; mais je n'osois quais luy offrir mon coeur, craignant qu'on ne me donnât un refus; car lorsque Nôtre Seigneur me dit que ce n'étoit pas moy, je conçus par là qu'il me vouloit signifier que j'étois trop peu de chose pour luy toucher de si prés; & ainsi je ne sçavois ce que je devois faire. Néanmoins, je m'enhardy, & luy témoignay que nonobstant mon indignité, je m'offrois à le servir dans ce qu'il jugeroit à propos que je fisse pour luy. Il me dit qu'il ne vouloit point que j'eusse aucune veuë pour mon utilité, mais bien qu'en consideration des autres qui sont ses mais intimes, je fisse trois choses: La premiere, il veut que je souffre sans murmurer; La seconde, que je ne cherche point à adoucir & moderer mes peines interieures: La troisiéme, que je ne perde aucune occasion de rendre la charité, quelque répugnance que j'y puisse ressentir. Je n'eus pas de peine d'y consentir, & rien ne me sembla difficile pour lors; car je concevois tres-clairement l'opposition du peché à Sa Majesté infinie. De sorte que j'aurois choisi tous les supplices imaginables, pour pouvoir contribuer à effacer ce monstre horrible. Depuis ce temps, quoy que je sois dans mes revoltes ordinaires, je ne laisse pas neanmoins de ressentir une grande horreur pour tout ce qui est le moins du monde desagreable à Nôtre Seigneur; & je suis dans une peine continuelle de le voir offensé: Quoy que cependant je ne sois pas meilleur, j'ay des momens où je me sens toute à Dieu, & puis tout d'un coup j'entre dans les sentimens & dans les idées des démons.

Le 22. Mars 1163. au soir, c'était le Jeudy-Saint sur les sept heures & demie; on me fit voir, dit-elle, une face de Nôtre Seigneur, & quoy que j'en voulusse détourner la veuë, elle étoit comme attachée à mes yeux & me suivoit par tout. Je remarquay que cette face ressembloit à plusieurs que j'ay veuës, excepté que sur les yeux il y avoit comme un bandeau de meurtrissure qui les cachoit, & obscurcissoit entirement: Cela me fit horreur, & en pensant en moy-méme comme le peché dont Nôtre Seigneur s'étoit chargé, défiguroit horriblement une âme; il sortit une vois de cette face qui me dît: Sçais-tu bien qui m'a ainsi meurtry ? Regarde. Je ne répondis rien, mais je pensay que peut-étre c'était moy; & cette pensée me causa une grande douleur: On me dît que c'étoit un soufflet qu'un tel avoit donné, il y avoit environ une heure & demie. Apres la face disparut; je priay particulierement pour cette personne, & il me sembla que mon Ange m'y invitoit.