Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

III-12. Croire avoir consenti au péché

CHAPITRE XII
Comment se fait qu'en ces états, une âme fidele à Dieu croit avoir consenty au peché, quoy qu'elle n'y ait pas consenty.

Une ame abîmée dans la tentation, voit aisément qu'elle y resiste, qu'elle y renonce, & qu'elle en est victorieuse; lors qu'ayant eu son recours à Dieu, où à la sainte Vierge, toutes ses tenations se dissipent, & la paix qui est un fruit de ses victoires; mais lorsque la tenation continuë opiniâtrement, & que l'imagination en est si penetrée, qu'elle va croissant plûtôt que de diminuer; & que les impressions du plaisir sont si vives, qu'il semble que tout le corps & tout l'esprit en sont tout remplis; Il est pour lors aisé de confondre le consentement avec le sentiment: & c'est pour lors qu'une pauvre ame crois aisément y avoir consenty, ou du moins qu'elle en est en doute, / que'elle s'en accuse, quoy qu'elle se souvienne bien y avoir rendu des combats, & avoir fait quantité d'actes de foy, d'esperance & de recours à Dieu, & des protestations de sa fidelité.

Mais quelquefois il arrive qu'une personne tentée ne se souvient aucunement d'avoir fait acune resistance, ny aucun acte de vertu, ny méme d'en avoir eu aucune volonté: D'ailleurs se ressouvenant parfaitement, non seulement des tentations dont elle a été attaquée; ams des consetemens qu'elle a crû avoir donné pleinement, & avec toutes les inclinations & les agréemens de son coeur, quoy que Dieu voye son innocence, sa fidelité, & les richesses de la grace qui remplissent son coeur.

Il est souvent tres-difficile, & impossible quelquefois, que la personne méme puisse en porter un veritable jugement: mais ceux qui la conduisent & qui la connoissent mieux qu'elle ne se connoît elle-méme, en peuvent juger plus sainement, & souvent peuvent l'asseurer de son innoncence, lors qu'elle se croit tres-criminelle. Un Directeur considerera d'une part le fond de l'ame de la personne qu'il conduit, sa vie passée, les maximes sur lesquelles elle s'est conduite dans la vertu, les habitudes qu'elle y a acquises, & la fidelité de son coeur; & d'autre part il considerera sa conduite presente, son exterieur, ses actions, ses paroles, & sa sincerité dans la découverre de son interieur; desquelles choses toutes ensemble, y survenant l'Onction du saint Esprit, apres une experience assez épourvée dans le gouvernement des Ames; il pourrat distinguer l'or veritable, d'avec celuy qui n'en a rien que l'apparence; & une ame qui est fidele à Dieu, d'avec celles qui luy sont infideles; quoy qu'il y ait quelquefois de certains rencontres, où l'on n'en peut pas bien juger, & où il faut s'abandonner aux jugemens de Dieu, qui seul penetre tous nos coeurs, & qui n'y peut étre trompé.

La Bienheureuse Angele de Foligny fut trois ans tentée d'impureté si horriblement, qu'elle ne doutoit aucunement qu'elle ne fût criminelle : Un saint Homme & expérimenté qui la conduisoit, l'asseuroit de son innoncence. JESUS-CHRIST apparoissant à cette ame fidele, apres ces trois années de tentation, luy declara qu'effectivement elle n'y avoit commis aucune faute, quoy qu'elle eût crû y avoir beaucoup commis. Les Vies des Saints nous en fournissent quantité d'exemples semblables.

Or ce qui paroît plus difficle en ces rencontres, c'est comment il se peut faire qu'une personne n'ait pas consenty au peché, lorsqu'elle croit étre asseurée qu'elle y a consenty. en cela il n'ya pas plus de difficulté, qu'à ce que nous voyons tous les jours; lors qu'il y a de l'eau dans un verre coloré, & rouge par exemple; l'eau paroît colorée, & toutefois elle ne l'est pas: & lorsque dans une verre quasi plein d'eau, on y verse du vin rouge assez haut en couleur, tout paroît rouge, tout paroît vin, & il semble que l'eau ait perdu sa couleur, & ait pris la couleur du vin, Toutefois cela n'est pas vray; mais dans le mélange des deux, de l'eau avec le vin, la couleur du vin étant la plus sensible & la plus vive, emporte tellement nos sens, qu'ils s'y sont trompez, & font que nôtre jugement est trompé aisément, lorsqu'il asseureroit que tout est rouge, & que l'eau a perdu sa couleur, & qu'elle a pris la couleur du vin. Ceux qui connoissent le mélange, & qui sçavent que l'eau n'est pas devenuë vin, & qu'en soy elle conserve sa couleur, sont les seuls qui en portent un sain jugement, la raison corrigeant nos sens, qui sont sujets à se tromper.

C'est ainsi qu'il se fait que les imaginations impures qui surviennent à une ame chaste, font que tout ne paroît rien qu'impureté, & que toutes les autres pensées, tous les autres desirs, sont pour ainsi dire abîmés dans l'impureté méme; quoy que la raison corrige cette erreur en ceux qui la consultent.

Joignez à cela, que comme méme naturellement nous nous oublions de certaines choses, & nous nous ressouvenons des autres ausquelles nous avons fait plus de réflexion, & qui ont fait plus d'impression dans nôtre esprit; de méme aussi il arrive quleque fois que les pensées d'impureté, & les autres semblables qui font la tentation, sont plus sensibles & plus penetrantes; & qu'ainsi on s'en ressouvient; lors qu'en méme temps on ne se ressouvient pas des pensées de piété, & des actes de vertu, qui ont été si imperciptibles, que l'on n'y a pas fait de reflexion; en sorte que la memoire n'est reste pas.

Outre que comme dans un tableau, on peut y cacher quelques Personnages à la veuë, ne cachant pas les autres; par exemple, si dans un tableau d'Anges mélez parmy des diables, on avoit caché tous les Anges, on n'y verroit plus rien que les diables : De méme aisément il se peut faire que Dieu, par une conduite extraordinaire, ou les démons par leur malice, cachent à une personne tous les actes de Foy, d'Esperance, de Charité, & autres semblables, qu'elle auroit toutefois fromez, dont Dieu seul & les Anges resteroient fideles témoins: auquel caus la personne se souvenant du mal, & ne se ressouvenant pas du bien, se jugera toute criminelle, & remplie d'iniquité; ne se souvenant pas d'avoir eu la moindre pensée, ny d'aucun bien, n'y d'aucune vertu. Mais c'est assez que Dieu n'en ressouviendra, qui recompensera un chacun dans la justice & dans la vérité.

Les Histoires sont remplies d'exemples de personnes, d'ailleurs tres-saintes, qui aux approches de la mort n'ont veu en eux-mêmes, & en toute leur vie, que des pechez abominables, dont ils se jugeoient criminels: quoy qu'ils ne les eussent jamais commis; & qui en méme temps n'avoient aucun ressouvenir d'aucune bonne oeuvre, qu'ils eussent jamais fait en toute leur vie; & qui ensuite se condamnoient pour une éternité malheureuse, sans que quoy que ce soit qu'on leur pouvoit dire pour leur consolation, fist aucune impression sur eux. C'est l'état où l'on vit le Frere Jean de Penna, Homme d'ailleurs tres-Saint, de l'Ordre du Seraphique saint François, sept jours avant sa mort; ce qui fut un Purgatoire bien rigoureux pour luy; ensuite de la priere qu'il avoit faite à Dieu, qu'il luy fist faire son Purgatoire avant sa mort. Les sept jours s'étans ainsi passez dans un tel abandon, qui paroissoit un desespoir, JESUS-CHRIST luy apparut, & remit le calme en son ame, dans lequel il mourut saintement comme il avoit vécu. Dieu a des voyes bien extraordinaires pour purifier & santifier ses Predestinez, qui nous doivent étre aimables, autant qu'elles sont adorables.