Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

III-5. De fausses apparitions

CHAPITRE V
Le diable la veut tromper par une fausse apparition de JESUS-CHRIST crucifié, & par une fausse apparition d'une religieuse decedée, comme sortant du Purgatoire; & Dieu permet qu'elle soit absedée.

Voicy ce qu'elle écrit.

Le Samedy 2. Avril 1661,étant à la sainte Messe avec application particuliere à la Passion de Nôtre Seigneur, un peu après l'élevation, une devostion sensible me surprenant tout d'un coup, j'en fus d'abord en peine, n'en connoissant pas la cause. Au méme temps il me sembla qu'un crucifix se presenta à mes yeux, lequel me parut d'abord si défiguré & si couvert de playes, que mon coeur commençoit déja à se fendre de douleur & de compassion: La sensibilité croissoit; mais avec tant de douceur & de suavité, que si mon esprit eût été sans crainte d'illusion, j'aurois dit vonlontiers come sanit Pierre, qu'il faisoit tres-bon en ce lieu; Ce JESUS prétendu me parla premierement avec des paroles si tendres & si pleines d'un apparent amour pour moy, que j'aurois volontiers acquiescé aux desirs qu'il me témoignoit étre veritablement bons & asseurez, non seulement pour ma perfection mais méme pour mon salut. Apres cét essay, s'appercevant que mon esprit, quoy que baigné dans la douceur, ne laissoit pas d'en avoir du soupçon & méme de l'incredulité, il prit un ton severe; quoy-que neanmoins il y entreméloit toûjours des paroles fort tendres pour faire plus d'impression sur mon coeur. Il me reprochoit ma dureté de coeur à croire à ses paroles, qui étoient des paroles de vie pour moy. Il me conjuroit par le sang qui découloit de ses playes, de n'en pas perdre le merite par ma faute. Il me representoit que le plus court & le plus asseuré chemin de ma perte étoit celuy que je prenois, dans la disposition où j'étois. Quitte au plûtôt, ô ma chere fille! disoit-il, le danger où tu t'es engagée toy méme: Lorsque l'on veut éviter l'embrazement, il ne faut pas s'approcher du feu; & d s'y jetter soy-méme, n'est pas se vouloir perdre? Que t'auront servy tant de graces que je t'ay faites, si en un moment tu perds ce qu'avec tant de peine tu as conservé cy-devant? Ne méprise point la faveur que je te fais; ne dédaignant pas moy-méme de t'en venir donner avis. Quitte dés aujourd'huy ce lieu où tu couches; & afin que la chose se fasse avec plus de douceur & sans qu'on s'en apperçoive, n'allegue point d'autre raison pour t'en dispenser, que celle de prendre un peu de temps de repos. Apres je t'inspireray ce qu'il faudra faire. Suy le conseil que je donne dans mes Ecritures Saintes: mon secret à moy seul. Ce mot redoubla mon doute; & comme il me pressoit de le regarder & de luy repondre; Je pensay, sans rien dire, que si c'étoit JESUS-CHRIST, j'étois indique de le regarder; mais plûtôt que c'ettoit à moy de regarder la terer; & ne pas présumer d'arréter mes yeux sur un objet qui meritoit l'adoration des Anges; & des respects infinis. Pource qui étoit de l'apprehension de me perdre dont il me menaçoit; je pensay que je ne devois rien craindre, pourveu que je continuasse d'obeïr à ceux qui me conduisoient, & qui me tenoient certainement la place de Dieu. Outre que je commençois de croire que fort probablement celuy qui m'étoit present, n'étoit pas vrayement JESUS-CHRIST, & que mes yeux s'y pouvoient aisément tromper. Pour ce qui est du secret qu'il me conseilloit: Je me répondois à moy-méme, que je ne devois point en avoir pour les personnes que j'étois obligée de regarder comme me representant la personne de Dieu.

Pour lors il me vint en pensée: mais on dira que je suis folle d'aller dire une chose qui peut-étre n'est qu'une pure imagination: n'importe, répondis-je, qu'on pense ce que l'on voudra; ce n'est pas à moy à examiner tout cela. C'étoit lors que ce crucifié me parloit, que je pensois toutes ces choses à part moy. Le temps de la sainte Communion s'approchant, je quittay l'incertain pour le certain; & cette vision ayant disparu, cette douceur spirituelle se changea tout d'un coup en une inquietude si importune, que je reconnus facilement que le diable étoit auteur de l'une & de l'autre. Cette inquietude fut suivie d'une tentation si violente & de si longue durée, que cela me confirma de plus en plus dans cette pensée. Quand au crucifix, ce n'étoit point comme un Tableau, mais comme un homme vivant attaché en croix: Il touchoix du pied de la croix sur le plancher, & étoit à deux pas de moy: En sorte que quoy que je ne le regardasse point, je voyois toutefois le sang tout fumant qui dégoûtoit sur le pied de la croix, & méme à bas. Les paroles dont il se servoit en me parlant étoient; Ma fille, ma bien-aimée, ma tres-chere, l'unique de mon coeur, ma joye.

Vne autre fois le Diable la voulut tromper par une fausse apparition d'une Religieuse decedée, comme sortant du Purgatoire

Le 29. Novembre 1661. (dit-elle dans son Journal) étant parfaitement éveillée, tout d'un coup je vis paroître une grande lueur qui éclairoit toute la chambre: Cette clarté étoit comme quand la Lune est en son plein; mais avec cette difference, que la lumiere qui me paraissoit, étoit rougeâtre, comme est la lueur que rend un grand feu; d'abord je fus saisie d'une grande frayeur, & quelque raison que je m'apportasse à moy-méme pour calmer mon esprit, je ne pouvois m'affranchir de cette crainte. J'abaissay mon voile sur mes yeux, & les fermay, afin de ne voir ny lumiere ny autre chose. Je voulois me persuader que c'étoit un songe, & que je ne voyois rien: Mais pour me persuader le contraire, on tira mon voile de dessus mon visage, & on leva les rideaux, méme à plusieurs reprises. Je me cachay le visage avec la couverture, on la retira. Alors pensant à moy-méme si celel pour qui nous faisions l'annuel, n'auroit point besoin de quelque secours particulier; je commençay à entrer en doute si elle ne me causeroit point tout ce trouble: Neanmoins je ne fus pas longtemps dans cette pensée, ne m'étant pas facile de persuader que les Ames du Purgatoire voulussent s'adresser à une personne comme moy. Je dis pour lors en moy méme; si c'est une ame du Purgatoire, qu'elle aille à mon Directeur ou à mon Confesseur, qui sont capables de l'aider; si elle desire me prier de quelque chose, qu'on me le fasser ordonner par les personnes qui me conduisent, je le recevray plus asseurément de cette part. En méme temps, sans que j'eusse prononcé aucune parole; j'oüy proche de mon lit une voix, qui répondant à ce que j'avois pensé; je n'ay que faire, dit-elle, n'y d'un tel, ny d'un tel; je ne veux ny leurs prieres ny leur avis: C'est à vous, ma chere Mere! à qui j'ay affaire; je viens vous dire adieu, & vous remercier. Oüy, ma chere Mere, je vous remercie de tout coeur de vôtre charité; & sur-tout de la bonne volonté que vous eûtes hier au soir pour moy. Je n'ay plus besoin de cela maintenant; & il ne faut point que vous ayez soin de moy davantage. Je vais posseder, comme j'espere le bonheur, auquel depuis si longtemps j'ay aspiré. Regardez moy donc, & me parlez opur la derniere fois. Je dis en moy-méme: « Je ne parleray pint du tout, & ne regarderay pas non plus. » La voix pour lors redoublant d'un fort affectueux me dit: Helas, ma pauvre Mere! ne me reusez point cette grace; du moins souffrez qu'avant mon départ je vous embrasse; Accordez moy cette derniere grace que je vous demande, je vous en prie. Je ne parlay point, mais je pensay que quand je serois asseurée que ce fût une Sainte du Paradis, je ne l'embrasserois pas sans avoir demandé auparavant conseil. Alors ce fantôme disparut, grondant, & disant que je serois fâchée de ne l'avoir pas voulu ny voir, ny embrasser: Cependant une heure s'étoit passée en cét entretien.

Tout étoit, ce me sembloit, dissipé, & la lumiere entierement obscurcie; tout d'un coup mon lit fut secoüé fortement à diverses reprises; & il sembloit qu'il se devoit renverser sur moy. A quatre reprises cela recommença, avec des importunitez & des violences qui durerent jursqu'à deux heures & trois quarts, quelque recours que je pusse avoir à JESUS-CHRIST, à la sainte Vierge & au signe de la Croix. Mais enfin toute cette canaille d'enfer se retira. Je restay toutefois dans une humeur la plus noire du monde contre mon Directeur & mon Confesseur, pour lesquels je ne dois avoir que du respect. J'avois ressenti des tentations extraordinaires si fortes, que j'en étois au desespoir. La pensée me venoit que tout cela n'étoit rien, que je ne devois pas m'y arréter, ny en parler à qui que ce soit, & que je n'en avois aucune obligation, puisque je sçavois bien n'y avoir pas offencé Dieu. Cela m'arriva deux autres fois dans le mois de Decembre.

Jusques icy est le recit de cette fidele servant de IESVS-CHRIST, qu'il vouloit éprouver en toutes façons.

Les effets de cette obsession furent en grand nombre.

1. Un redoublement des tentations en toutes manieres, & dans des excez inconcevalbes.

2. Une aversion effroyable de la Communion, n'y ayant rien que les démons ne fissent pour l'en empécher.

3. Une infestation des démons qui luy apparaissoient, & qui tâchoient de la tromper sous diverses figures.

4. Quelques années apres, lorsqu'elle prioit pour le salut de quelques Ames qui étoient ou dans l'abîme du peché, ou sur le bord du précipice, Dieu prit souvent cetet voye de conduite avec elle, qu'elle étoit comme une prison à plusieurs milliers de démons, qui se voyoient contraints, malgré toutes leurs resistances, d'entrer dans cette fille vrayement Sainte, dont ils avoient plus d'horreur que de l'enfer méme: Car plus ils exerçoient contr'elle leur rage, par toutes sortes de tentations dont les impressions étoient extrémes; toûjours ces maudits esprits d'enfer se voyoient vaincus par cette ame, qui étoit si fidele à la grace de JESUS-CHRIST, que jamais ils n'ont pû obtenir d'elle qu'elle consentît àla moindre chose qu'ils desiroient, quoy que souvent ce ne fùt presque rien, comme un seul regard, un seul mot, & le moindre mouvement de sa main, un seul de ses cheveux: En sorte que bien loin de la posseder, ils étoient eux-mémes captifs en elle; & ne pouvoient agir sur d'autres que sur elle; & souvent le nombre en a été si grand & si excessif, dont elle sentoit les impressions, que cette pauvre fille avoit à combattre des armées entieres de démons.

Pour l'éclaircissement de plusieurs doutes qui pourroient survenir à diverses personnes sur ce sujet, il est bon de faire icy deux ou trois remarques, dont conviennent ceux qui en ont écrit plus raisonnablement.

La premiere, que l'obsession est une operation manifeste de Sathan pour nuire à l'homme. On l'appelle manifeste pour la distinguer de la tentation, qui ordinairement est occulte, au moins en principe.

La possession est une operation maligne, par laquelle le diable se rend maître des puissances de l'homme, jusques à luy ôter la reflexion & la liberté, & à parler & répondre personnellement par sa bouche. En sorte que la difference qu'il y a entre obsession & possession, est que le diable dans la possession répond personnellement par la bouche de la personne possédée: mais lorsqu'il obsede, il peut bien produire quantité d'autres effets qui se trouvent en ceux qu'il possede; mais non pas parler par la bouche de celuy qui est simplement obsedé, ny répondre en sa propre personne, en le privant de l'usage de la raison & de la liberté. Ce qui est la veritable marque de la possession. Ainsi qu'il arriva à un Religieux de saint Bernard, lorsque le Pape Innocent II. l'alla visiter à Clair-vaux: Car le Pape & les Cardinaux étans entrez dans le Choeur où se chantoit actuellement l'Office, un des ces Religieux fut possedé, * & apres des blasphémes horribles, le diable parla personnellement par sa bouche, disant qu'il étoit le Messie, & qu'il devoit étre adoré, & qu'il le vouloit. Saint Bernard à l'heure méme délivra ce Religieux de cette possession, & le diable demeura confus & vaincu, qui avoit voulu jetter le desordre & la confusion dans cette sainte Maison & parmy une si illustre Compagnie.

La seconde remarque est qu'en cét empéchement que l'homme reçoit de la part du démon, dans l'usage de ses facultez, tant interieures qu'exterieures; ceux qui sont travaillez de cette maniere de vexation qu'on appelle obsession, sont fort souvent privez de la liberté de leurs fonctions naturelles; & particulierement ils ont l'imagination occupée d'une espece d'obscurité qu'il y répand, & le coeur sensiblement serré en diverses rencontres; mais de telle sorte qu'eux mémes s'apperçoivent tres-bien que tout cela se fait par un principe exterieur, bien que quelques-fois ces chaînes soient invisibles & méme fort cachez.

La 3. remarque que font les Docteurs sur ce sujet, est que souvent dans l'obsession les démons impriment des sentimens de douleur sur le corps de la personne, & donnent encore d'autres sensibles marques de leur presence; ayant coûtume de faire beaucoup de bruit, de frapper de terreur, de donner des tortures dans les entrailles, ou dans les nerfs; y causer des pesanteurs & des obstructions fort penibles; d'y faire méme naître des maladies; ainsi qu'il arriva à Job; outre les impulsions au mal tres-violentes. Ce qui se fait de sorte que la personne obsedée connoît aisément que ces operations viennent du démon.

Au reste, il ne se faut pas étonner que Dieu permette quelquefois que des Ames tres-saintes soient livrées de la sorte en la puissance des démons, qui en voulant leur nuire, aident à leur sainteté. Apres que JESUS-CHRIST luy méme a donné pouvoir à Satan de le transporter sur le haut d'une montagne, & sur le haut du Temple de la ville de Jerusalem, pour le tenter & pour l'induire au peché s'il eût pû; rien ne nous doit surprendre en des choses semblables. Dieu a permis diverses fois que les Saint ayent été possedés des diables: Et saint Chrysostome à ce sujet, écrivoit trois Livres de la divine Providence, pour la consolation d'un Moine de tres-grande vertu nommé Stagyrus, qu'il appelle le plus intime de ses amis; lequel par la permission de Dieu fut possedé du diable. Dans ces trois Livres il l'exhorte à la patience & à la soumission aux volontez de Dieu; l'asseurant que tant s'en faut que cette possession luy soit préjudiciable pour sa sainteté, qu'au contraire elle luy sera tres-avantageuse, y pratiquant toutes les vertus qui font les Saints; & qu'un seul peché volontaire, quoy que seulement veniel, luy seroit bien plus dommageable, que d'étre possedé des diables comme il étoit.

Pour ce qui est de l'infestation & de l'obsession des démons; tres-souvent Dieu le permis sur les ames les plus saintes, méme en nos temps. Le Pere Eusebe Nieremberg, un des plus doctes & des plus éclairez de ce sieble, en rapporte un exemple illustre dans la Vie du Pere Jean de Castille Jesuite, qui mourut en Espagne en opinion de sainteté, le 4 May 1599.

Cét homme fut élevé par les faveurs de la sainte Vierge à un don d'Oraison tres-sublime. Un jour il se sentit poussé interireurement à souffrir pour Dieu des choses extraordinaires, & il luy vint en pensée qu'il n'en pouvoit souffrir davantage, qu'en se livrant entre les mains des démons pour le tourmenter. Cette pensée le tenoit en perplexité, jusqu'à ce que disant un jour la Messe, la sainte Vierge & sainte Agnes luy apparurent, & l'animerent au combat, luy promettant que le secours du Ciel ne luy manqueroit pas, dans les maux que les malins esprits luy feroient souffrir. A peine cette apparition eut cessé, qu'il entra dans sa chambre une troupe de démons, avec grand bruit, qui luy faisoient prononcer de sa bouche mille blasphémes contre Dieu, JESUS-CHRIST & sa sainte Mere, malgré qu'il en eût, & luy disoient: Tu es nôtre à present, & tu ne nous échapperas pas? Ils luy donnoient des impression si vives de pechez tres-griefs, qu'il s'en jugeoit pour lors criminel, & croyoit y avoir consenty: mais apres que le calme étoit revenu dans son ame, JESUS-CHRIST luy faisoit connoître qu'il en étoit tres-innocent. La merveille étoit que quoy que les démons le fissent parler bien haut, personne pourtant n'entendoit ces blasphémes. Ces épreuves de Dieu sur luy, durerent jusques à la mort, qui fut dans la paix des Saints, & qui fut toute sainte comme avoit été sa vie. Il avoit eu une tres-grande familiarité avec son Ange-Gardien, qui luy apparoissoit visiblement; & jamais Dieu ne permit que ces infestations des démons parussent en public; son Confesseur & ses Superieurs en étoient les uniques témoins, qui admiroient sa solide vertu, & les voyes adorables de Dieu sur luy.

* Annales cisterciennes anno 1131