Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin
Née Catherine Simon de Longpré

CATHERINE DE SAINT-AUGUSTIN

5. Avis au lecteur

La Vie de la Mere Cahterine de saint Augustin, Religieuse Hospitaliere de Quebec en la Nouvelle-France

Avis au Lecteur, qu'il est necessaire de lire pour l'intelligence de cette Vie.

ette vie est composée presque toute entiere sur un journal, pris de ceratains papiers que ses Directeurs & Confesseurs luy avoient commandé d'écrire, touchant ce qui s'étoit passé en elle, & ce qui s'y passoit tous les jours, pour y avoir recours en temps et lieu. Elle n'avoit pas été écrite pour la rendre publique, mais seulement pour en envoyer quelques manuscrits aux Maisons qui sont en France de l'Institut des Religieuses Hospitalieres de Dieppe. Queles personnes de pieté & de merite en ayans eu communication, ont jugé qu'elle seroit tres-utile pour la direction particuliere des ames que Dieu conduit par des voyes extraordinaires, & qui approchent de la conduite que le Saint-Esprit a tenuë sur cette bonne Religieuse: & pour le fruit que tout le mond en peut tirer, y voyant la misericorde de Dieu, & les châtimens de sa justice sur les Ames qui ont recours à sa bonté, ou qui usent mal de ses grâces

2. Il est bon que l'on sçache que cette fille avoit toutes les qualitez avantageuses de la nature & de la grace, que l'on peut desirer pour rendre une personne accomplie. Un bon esprit, un corps bien formé, un jugement solide & éclairé, sans attachement à ses propres lumieres; une grande prudence jointe à une égale simplicité, une volonté naturellement portée au bien, ayant toûjours été élevée dans l'innocence, & dans une heureuse ignorance de tout ce qui peut corrompre les moeurs: Sur tout elle avoit la derniere horreur de l'impureté & du mensonge; un coeur doux, charitable, bien-faisant, qui gagnoit tout le monde; un air libre & sans aucune affectation; un courage élevé sans ambition; un esprit qui penetroit beaucoup sans aucune curiosité; capable de toutes choses, sans se méler neanmoins des affaires d'autruy, & sans prendre jamais le change de celles qu'elles conduisoit: Elle étoit attachée inviolablement à ce que la Providence divine demandoit d'elle; obeïssante avec simplicité: Elle sçavoit gouverner sans empire, & conduire avec charité: Elle deferoit à tout le monde; Elle sçavoit tout supporter, tout excuser, tout esperer sans imprudence, & il étoit difficile de la tromper: Elle étoit toûjours d'égale humeur, toûjours gaye, honête & modeste: Elle avoit un esprit facile & net en ses pensées, qui les enonçoit aisément & en bons termes, sans vanité & sans étude; elle écrivoit avec la méme facilité; elle étoit d'une memoire excellent, & qui ne se chargeoi, que de ce qui meritoit d'étre retenu: Elle n'avoir aucune ambition: mais dans les veuë de Dieu, & de la verité éternelle: Elle n'a jamais été dans l'erreur; amis elle s'est attachée au solide; & dés son enfance toutes ses inclinations se sont portées à la veritable vertu.

3. Elle n'a jamais été fille qui se laissât aller à son imagination; & naturellement méme elle avoit aversion des revelations, des visions & des conduites extraordinaires, y ayant toûjours resisté le plus qu'elle a pû: desirant d'étre conduite uniquement par l'esprit de la Foy, & par la pratique des solides vertus; craignant l'illusion & la vanité dans une autre conduite.

4. Elle n'a jamais declaré à qui que ce soit les choses extraordinaires qui luy sont arrivées de la part de Dieu, sinon à ceux auxquels elle étoit obligée de dire toutes choses; encore y avoit-elle beaucoup de peine, lorsque les choses sembloient étre à son avantage: mais pour ses défauts, & pour tout ce qui étoit en elle de plus humiliant, c'est en quoy elle étoit éloquente, lorsqu'il faloit se faire connoître; & jamais il ne luy est arrivé de manquer en ce point, ny à la sincerité, ny à l'obeïssance qu'elle devoit à ses Directeurs.

5. Pour les horribles tentations dont Dieu a premis que sa vertu ait été éprouvée jusqu'à étre obsedée par les Demons; c'est une conduite que Dieu a tenuë sur les grands Saints; S. Antoine, S. Hierôme, S. Hugues, Sainte Claire de Montfalco, laquelle a été sept de suite obsedée des Demons & horriblement tentée d'impureté; les Saintes Catherine de Bolonge, de Gennes & de Sienne; Sainte Magdelene de Pazzy, la Bienheureuse Angele de Foligni ont eu les mémes épreuves. La Venerable Mere Alix l'a été l'espace de vingt ans; la sainte Abbesse Sara en Scythie durant treize ans, sans que jamais elle ait demandé à Dieu d'en étre délivrée. Les Diables on fait une guerre cruelle plusieurs années à sainte Françoise Romaine, en l'assommant de coups, & luy apparoissant pour la tromper sous diverses formes de Saints du Paradis, de JESUS-CHRIST & de la sainte Vierge, de son Ange-Gardien & de son Confesseur.

6. Mais il est necessaire de faire icy une reflexion importante, sur ce qu'elle dit souvent qu'elle étoit la plus criminelle du monde, qu'elle consentoit à toute sorte de pechez, & qu'elle faisoit sur terre le malheureux employ que font les Demons en enfer. Premierement, on fera reflexion que le méme est arrivé à des tres-grands Saints, qui se croyoient et se disoient coupables des plus énormes pechez du monde, pour y avoir pleinement consenti, quoyqu'ils en fussent tres-innocents. Secondement, que tous ceux qui l'ont connuë dés son enfance, & qui ont examiné la conduite de toute sa Vie, n'y ont jamais rien veu qui ne fût innocent & entierement éloigné du peché: on n'a méme jamais rien remarqué en elle, qui ne fût digne d'une excellente Religieuse, & ceux qui ont connu le plus intime de son ame, on asseuré & sont prest d'asseurer saintement en la presence de Dieu, que jamais elle n'a offensé Dieu mortellement, & qu'elle a conservé jusqu'au dernier soûpir de sa Vie son innocence baptismale. Troisiémement, on doit tenir pour asseuré que toutes les choses dont elle s'accuse, & dont elle se dit criminelle, ne luy étoient pas volontaires, quoy qu'elle se persuadât qu'elle s'y portoit de tout son coeur. Cela se faisoit en elle par l'operation des Demons, qui remplissoient tellement son imagination & toutes ses puissances de leurs impressions; qu'elle s'imaginoit aisément, quoy que tres-faussement, y donner un plein consentement, & se laisser vaincre sans aucune resistance. De méme lors qu'elle dit que la sainte Verge, son Directeur celeste le Pere de Brebeuf, & d'autres saints du Paradis la contraignoient malgré qu'elle en eût, de desavoüer tout ce que les Demons avoient malignement operé en elle; elle se persuadoit ainsi que c'étoit malgré elle, à cause qu'en méme temps que la grace de Dieu operoit en elle par les impressions surnaturelles qu'elle en recevoient, les Demons luy imprimoient des sentimens tout opposez qui étoient mille fois plus sensibles. Or ce qui est le plus sensible, semble prévaloir & l'emporter au dessus de tout ce qui est audessus de nos sens. La grace qui est au fond e l'ame qui n'a rien de sensible, & souvent méme l'amour de Dieu le plus pur qui puisse étre au monde, qui est tout spirituel; sont comme une goutte d'eau qui seroit absorbée au milieu d'un grand vase tout remply d'un vin fort & coloré. Il n'y a que le vin qui paroisse à nos sens, cette goutte d'eau ne paroît plus & semble étre aneantie, quoy qu'elle s'y conserve toûjours en sa substance. Ainsi cét Amour de Dieu caché au fond de l'ame, y demeure toûjours, quoy que celuy qui aime, ne l'apperçoive pas, à cause que sa propre operation luy est imperceptible. Lorsque nous parlons d'une langue que nous possedons bien & dont nous avons un grand usage, nous y gardons toutes les regles; & toutefois il ne nous semble pas que nous donnions aucune attention à ces regles, & nous asseurerions aisément que nous n'y faisons aucune reflexion, & que nous n'en avons aucune veuë, quoy que sans doute nous y ayons quelque application, autrement nous ne parlerions pas avec justesse: mais il est vray que cette attention est si délicate & si peu sensible, qu'il nous est difficile de la remarquer. Du commencement qu'on apprend à parler par regles, comme on n'en a pas encore l'habitude, l'attention que l'on y fait est si distincte & si sensible, que l'on n'en peut pas douter. Si cette bonne fille avoit parlé juste, elle auroit dit que sa foy, son esperance, sa charité & la resistance au peché luy étoient si cachées & si impercipetibles, qu'elle eût aisément crû n'en avoir point du tout, & manquer méme du desir d'en former aucun acte; mais au contraire que l'ipmression que les Demons luy donnoient d'infidelité, de desespoir, de haine contre Dieu & toutes sortes de pechez, étoit si forte & si sensible en toutes ses puissances, qu'elle se fût aisément persudadée étre abîmée dans le péché, & y consentir de tout son coeur, si ce n'eût été les Anges & les Saints du Paradis, la sainte Vierge & JESUS-CHRIST méme, qui tres-souvent luy apparoissoit, & que ses Confesseurs & Directeurs auxquels elle se découvroit entierement & sans resserve, l'asseuroient qu'elle se trompoit, & que ce qui étoit de plus sensible en elle, n'étoit pas ce qui étoit de plus fort ny de plus intime dans son coeur. En un mot, elle auroit di qu'elle ne vouloit pas le mal, qu'elle croyoit vouloir de toute son ame, & au contraire elle vouloit en esprit & en verité le bien qu'elle ne croyoit pas vouloir, & contre lequel les Demons luy donnoient des impressions si puissantes, que le peché luy paroissoit étre le maître de son coeur. C'est en effet l'asseurance que JESUS-CHRIST, la sainte Vierge & plusieurs Saints du Paradis luy ont souvent donnée, ainsi que Monseigneur l'Evéque de Petrée son premier Superieur qui connoissoit le fond de son ame, & tous ceux qui ont eu le soin de sa conduite, ou qui en ont été consultez; toutes personnes tres-capables & tres-experimentées dans les voyes de Dieu, & d'une vertu approuvée. c'est dont elle-mesme demeuroit convaincuë, par ses propres lumieres, ou plûtôt par les lumieres du saint Esprit, lorsque les operations des Demons avoient cessé, & que le seul esprit de Dieu la possdoit: c'est à quoy elle se soûmettoit durant ses doutes, & dans les troubles de son coeur; conformant son jugement & ses pensées à ce qui luy étoit dit & ordonné par ceux qui la dirigeoient, renonçant pour lors aux sentimens contraires que luy imprimoient les Demons, ausquels par la grace de Dieu elle n'a jamais obei, quelques efforts qu'ils ayent pû faire contre elle.

7. Avant que nous parlions du tétail de la Vie de cette vertueuse Religieuse, en voicy comme un abregé dans une lettre que Monseigneur l'Evéque de Petrée écrivit à la Reverande Mere Marie de S. Augustin, Fondatrice & Superieure des Religieuses Hospitalieres de Bayeux, apres la mort de celle dont la Vie est icy décrite.

Me chere Mere, il y a grand sujet de benir Dieu de la conduite qu'il a tenuë sur nôtre Soeur Catherine de saint Augustin: c'étoit une ame qu'il s'étoit choisie pour luy communiquer des graces tres-grandes & tres-particulieres: sa sainteté sera mieux connuë dans le Ciel qu'en cette vie; car asseurément elle est extraordinaire. Elle a beaucoup fait, & beaucoup souffert avec une fidelité inviolable, & un courage qui étoit au dessus du commun. Sa charité pour le prochain étoit capable de tout embrasser pour difficile qu'il fût. Je n'ay pas besoin des choses extraordinaires qui se sont passées en elle pour étre convaincu de sa sainteté; ses veritables vertus em la font parfaitement connoître. L'on envoye au R. Pere Ragueneau les remarques que l'on a faites de ce que l'on a pû connoître des graces & des vertus qui ont paru davantage en elle. Vous aurez sans doute bien de la consolation de voir ce que l'on en a recüeilly. Dieu a fait une faveur bien particuliere à nos Hospitalieres de Quebec, & méme à tout le Canada, lors qu'il y a envoyé cette Ame qui luy étoit si chere. A Québec, le 10. Octobre 1669.

    Ma chere Mere,

Vôtre tres-humble & tres-obeïssant
serviteur FRANCOIS,
Evéque de Petrée.

8. Il y a dans la suite de cette Vie diverses choses qui paroîtront extraordinaires, & d'aucunes qui sembleront surprenantes à ceux qui on moins d'habitude dans la lectrue des Vies des Saints, qui sont moins connuës au commun des Chrétiens: mais on se souviendra que les bontez de Dieu sont infinies, & que la varieté de ses conduites sur les ames saintes, n'est pas moins admirable dans l'ordre de la grace, qu'elle le peut étre dans la nature; & que l'Esprit a sujet de dire de la plus-part des Saints, qu'ils n'ont point eu leur pareil. Non est inventus similis illi. Peut-étre a-t'on veu rarement une conduite semblable à celle que Dieu a voulu tenir sur la personne dont nous écrivons la Vie; luy ayant donné un Directeur celeste si frequemment visible, si assidu & si familier, que luy a été les six dernieres années de sa vie, celuy, qui la conduite par des voyes veritablemement perilleuses, & qui avoient besoin d'un secours tout extraordinaire. Peut-étre qu'on ne trouvera pas aisément dans al Vie des Saints aucun exemple semblable que tant de Demons ayent fait une guerre si terrible & si opiniâtre à une fille qui leur servoit de prison; & que méme les Saints du Paradis se soient interesez auprès de Dieu, à ce que les Demons r'entrassent en elle, aprés en étre sortis, chssez par JESUS-CHRIST: & qu'en méme temps elle se soit veuë attaquée de toutes sortes de tentations, dont elle étoit victorieuse, lorsqu'elle s'en croyoit vaincuë. C'est en quoy Dieu veut étre glorifié des richesses incomprehensibles de ses graces, pour confondre un jour la lâcheté d'un trop grand nombre de Chrétiens qui se laissent vaincre si malheureusement aux moindres tentations, & qui se plaignent que la grace de Dieu leur manque, lors qu'ils manquent eux-mémes de correspondre aux graces que Dieu leur fait.

Exprès je mets en cette Vie diverses choses que je prévois bien que des esprits mal-intentionnez pourront prendre autrement qu'il ne faut: mais des personnes plus remplies d'esprit de Dieu, on jugé qu'il y auroit du mieux de ne les pas obmettre, la connoissance en devant étre utile pour la conduite de certaines Ames que Dieu mene par des voyes extraordinaires, que trop aisément l'on condamneroit, ou que l'on prendroit pour chimeriques n'en ayant pas l'experience, & n'ayant rien entendu de semblable dans les Vies des Saints.

10. Au reste tout ce qui est écrit en cette Vie, est soûmis au jugement que l'Eglise en fera; à laquelle seule il appartient d'approuver ou d'improuver les choses qui font la veritable sainteté, & qui sont selon l'esprit de Dieu & de la foy.

Comment on peut s'assurer de la verité des visions & des revelations contenuës en cette Vie.

C'est une demande tres-raisonnable que de vouloir sçavoir quelle asseurance on peut avoir de la verité de tant de visions, apparitions & revelations si extraordinaires & si frequentes, dont toute cette Vie est remplie; car sans doute il est de la prudence de ne pas déferer aisément à tout ce qui se dit des choses semblables, à moins que les preuves n'en soient bienétablies, & que le tout n'ait été bien examiné par des personnes de grande expérience & de capacité, & qui ne soient pas trop credules, veu qu l'on y a été trompé si souvent, & que de tres-grands personnages qui ne manquoient pas de science ny de sainteté, s'y sont laissé surprendre: d'ailleurs il n'est que trop veritable que l'imagination, principalement des filles qui sont portées à la pieté, se trompe aisément, & qu'elles croyent fort legerement avoir veu & entendu ce qu'elles se sont imaginé: outre que ce n'est pas d'aujourd'huy que les Demons se transforment en Aanges de lumiere, & qu'ils font prendre le mensonge pour la verité. Il ne faut donc pas y étre trop credule.

Mais d'autre part aussi en fuyant cette extremité, plusieurs tombent dans l'autre & se rendent opiniâtrement incredules à tout ce qui leur est rapporté de ces choses extraordinaires, ne voulant croire que ce qu'ils auroient veu, & ce qu'eux mémes auroient examiné; comme si leurs yeux & leur jugement étoient l'unique regle infaillible de toutes choses, & que tous les hommes du monde fussent plus qu'eux, subjets à l'erreur & à l'illusion.

C'est legerté de tout croire, c'est opiniâtreté de vouloir douter de tout ce qui est d'extraordinaire: il faut prendre le je juste milieu pour ne pas s'égarer ny de côté ny d'autre.

Les Apôtres avoient de la peine à croire la resurrectino de JESUS-CHRIST sur le rapport de Magdelene & des femmes, qui toutefois disoient tres-vray; JESUS-CHRIST leur ayant apparu, leur ayant parlé, & leur ayant donné commission d'aller porter la nouvelle à ses Disciples bien-aimez.

Dieu fait des graces à qui il veut, & quand il veut; & si quelquefois il se fait voir aux femmes plûtôt qu'aux hommes, c'est souvent un manquement d'humilité en nous, de vouloir leur dénier toute creance. JESUS-CHRIST benissoit Dieu son Pere de ce qu'il avoit caché les Mysteres & les merveilles de nôtre foy aux grands esprits, & aux hommes les plus prudens & les plus sages de la terre; & de ce qu'il les avoit revelez à de simples personnes qui n'avoient ny une grande capacité ny un esprit sublime.

C'est ainsi que Dieu a pris plaisir de se communiquer par des apparitions, par des visions extraordinaires, & par des revelations frequentes, à sainte Gertrude, à sainte Brigitte, à saint Mectilde, aux saintes Chaternies de Sienne, de Genne & de Boulogne; & nos derniers siecles à sainte Therese & à quantité d'autres de même sexe, dont la vie sainte & solidement Chretienne, a donné créance à ce qu'elles en ont dit & écrit. Leurs revelations & leurs visions ont sans doute reçû une veneration plus grande depuis qu'elles ont été canonisées & reconües Saintes par l'Eglise: mais avant cela, elles ne laissoient pas d'étre approuvées par la plus-part des personnes de bons sens, elles ont été publiées, & ont été d'un tres-grand fruit pour un tres-grand nombre de bonnes Ames, qui comme des Abeilles tirent le miel des fleurs; quoy que quelques esprits ou mal-faits, ou libertins, ou qui sont dans l'ignorance & dans l'inexperience de ces conduites de Dieu sur ses Elûs, convertissent tout en venin, comme font les bêtes veneneuses tout ce qu'elles approchent. D'aucuns méme vont si avant dans leur incredulité, que ne voulans rien croire de tout ce qui se dit d'extraordinaire & de miraculeux dans les Vies des Saints, bientôt aprés ils passent plus avant, & commencent à douter méme des miracles, des apparitions & des visions qui sont dans la sainte Ecriture: Un homme qui est né aveugle, ne peut pas concevoir tout qu'on luy dit des couleurs; & ceux qui luy veulent expliquer ce que c'est que l blanc & le noir, le rouge et le jaune, ne peuvent pas luy faire entendre ce qu'ils conçoivent bien, à cause qu'ils voyent de leurs yeux ce qui ne se peut connoître que par le veuë. Il en est le méme de ces veritables, ou sensibles, ou intellectuelles, ny de paroles interieures, soit des Saints & des Anges, soit de Dieu méme à ceux auxquels ils parlent aussi intelligiblement, aussi certainement, & avec non moins d'évidence que nos yeux voyent clairement ce qui leur est representé; & que nous entendons sensiblement les paroles qui nous sont dites, & qui font l'entretien des hommes. L'Ame à ses sens interieurs, comme le corps a les siens: mais un homme qui n'a jamais eu ces visions extraordinaires, qui n'a jamais entendu ces paroles interieures, dont les esprits se servent pour se parler, & qui d'ailleurs n'a pas assez d'humilité pour déferer à l'experience des autres à qui Dieu fait ces graces, & qui sont plus éclairez que luy, ne peut pas concevoir ce qui en est, & son esprit se revolte aisément contre la vérité; quoecumque ignorant, blasphemant.

Maintenant pour revenir à la demande proposée dans le titre de ce Chapitre, comment on peut s'assurer de la verité des visions & des revelations contenuës en cette Vie?

Je répons premierement, que la Vie saintement exemplaire de celle dont nous parlons, & tout ce qu'on a reconnu en elle, depuis son plus bas âge jusqu'à sa mort, qui aussi a été toute sainte, ne nous permettent pas de douter de la verité de ce qu'elle a rapporté & écrit de foy-méme, par le commandement de ses Confesseurs & Directeurs, & de Monseigneur l'Evéque de Petrée qui étoit le premier-mobile de toute sa conduite, common on ne doute pas de ce qu'a écrit sainte Therese d'elle-méme par l'ordre de ses Directeurs.

Secondement, je répons que l'experience tres-frequete que l'on a euë de la verité des choses éloignées, secrettes & impenetrables à la connoissance des hommes, qu'elle voyoit comme si elles luy eussent été presentes, & qu'ele declaroit à ceux auxquels elle étoit obligée selon Dieu de le faire; sont des preuves tres-convaincantes que Dieu luy reveloit ces choses là: comme par exemple lors qu'elle connoissoit la mort des personnes decedées en France, dont les Ames luy apparoissoient pour se recommander à ses prieres, cinq & six mois avant que les nouvelles en pûssent étre apportées en Canada: & lors qu'elle penetroit le fond & l'intime des consciences, qu'elle y voyoit les pechez les plus cachez, en marquant le nombre, les lieux, les complices & les rechûtes, ce qui luy est arrivé tres-souvent.

Troisiémement, la trempe de son esprit qui n'étoit aucunement imaginatif, mais qui s'attachoit uniquement au solide & à la vérité, & qui naturellement avoit de l'aversion des voyes extraordinaires, dont elle s'éloignoit de tout son pouvoir, ne nous permet pas de juger qu'elle y ait été trompée; & en effet, quoy que les Demons se soient transformez très-souvent en Anges de lumiere, jamais elle ne s'y est méprise: & d'ailleurs son humilité a tenir secretes les graces de Dieu en elle, & tout ce qui auroit pû donner quelque estime de sa sainteté; son humilité, dis-je, nous donne tout sujet de croire qu'elle n0'a pas voulu nous tromper. Si elle l'avoit voulu, elle n'auriot pas declaré les choses les plus humiliantes qui soient au monde, ses tentations & obsessions, dont jamais qui que ce soit n'a eu aucune connoissance que par son seul rapport; tout ce qui paroissoit d'elle étant d'édification & vrayement digne d'une excellente Religieuse.

Quatriémement, ceux qui ont eu le soin de sa conduite & ceux qui en ont été consultez, ont examiné de concert tout ce qui se passoit en elle, avec un soin extraordinaire & dans la derniere rigueur; ce sont des personne qui jamais n'ont eu aucun panchant à ces voyes perilleuses par où Dieu seu la conduisoit, & que'elle méme a refusé de toutes ses forces, & l'on peut dire avec verité que c'est malgré elle que nôtre Seigneur l'y a menée, jusqu'à la mort.

Cinquiémement, ce quelle est apparuë apres sa mort & en Canada & en France, elle a été veuë dans la gloire des Saints par diverses personnes que l'on ne peut soupçonner ny de mensonge ny d'illusion, sont des témoignages irreprochables de sa sainteté; comme aussi la connoissance que l'on a euë de ses verus solides par ce que l'on a veu continuellement en elle durant toute sa vie: sa veritable sainteté a été connuë par ses oeuvres, comme le bon arbre ne se connoît que par la bonté de ses fuits, & c'est sur cela seul que se sont appuyez ceux qui ont rendu témoignages si autentiques de l'innocence de sa vie, de la grandeur de ses vertus, & de la sainteté de sa mort.

Sixiémement, j'ajoute enfin que la vie crucifiée par où nôtre Seigneur a voulu la conduire, & ses souffrances continuelles auxquelles elle s'étoit saintement abandonnée pour les pecheurs & pour les ames du Purgatoire, comme une victime destinée à la mort, qui pouvoit dire avec saint Paul, qu'elle mouroit tous les jours: cette vie, dis-js, curifiée est le veritable chemin des grandes Ames, & qui conduit à la vraye & à la plus grande sainteté.